« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

BÉASSE


 

 

 

 

Lorsque j'y venais petite, tout était déjà en ruines

Le village avait brûlé quarante ans auparavant

Je ne touchais pas le sol mais voyais tout du dessus,

Perchée comme un singe sur le dos de mon père.

La vallée entière était muette

Personne ne savait rien de ce village ni de ces habitants

Qui avaient dû fuir à pieds, car il n'y avait pas de routes,

leurs enfants sur le dos.

 

J'y suis retournée à quatre pattes

car les fossiles jonchaient le chemin de la baisse de Béasse

Quelques langues s'étaient déliées plus bas dans la vallée

J'avais entendu au bar un chasseur dire à son ami

que l'incendie devait être criminel

Devant chaque maison les portillons grinçaient, envahis de mauvaises herbes

Partout, il se disait à demi-mots

qu'un brave était descendu à la baisse accompagné de son âne

et que seul il reconstruisait le village

 

Je n'ai jamais rencontré cet homme

Mais au bar des tilleuls, en bas près de la rivière

on disait que le four s'était remis à fonctionner

L'âne portait les pierres et l'homme tes taillait

Déjà deux maisons étaient reconstruites

L'une était la sienne et l'autre,

elle était pour les aventureux lorsqu'ils ont besoin de repos.

Dans la vallée, des aventureux il n'y en avait pas

chacun y allait de son mauvais présage

Et prévoyait une nouvelle catastrophe à Béasse,

Car il en suffisait d'une pour que le village soit maudit

 

Je suis descendue quelques années plus tard à Béasse

Un jour où la chaleur venait

Tant du ciel que de la terre

Je nourrissais l'espoir de croiser le brave

Dont plus personne ne parlait depuis longtemps

J'ai trouvé sa maison

Elle était saccagée et un mot cloué sur la porte

offrait l'hospitalité pour la nuit

l'homme était parti

le four ne fonctionnait plus

le mot disait il n'y a plus rien à détruire ici

 

Les chasseurs de la vallée à qui j'ai raconté l'histoire

se font garants d'une justice qui était étrangère

au brave qui a cru seul reconstruire Béasse

l'endroit était maudit et il fallait bien

faire taire les chuchotements de la vallée

Peut-être qu'un jour j'irai reconstruire Béasse

Parce que je crois qu'elle est la dernière demeure des braves

et que c'est pour cela que les pierres

y sont plus brillantes que le soleil

Léa-Nunzia Corrieras / inédit 2018