« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’AUBE DANS LA CHAMBRE


 

 

 

 

Le petit jour vient toucher une tête en son sommeil

Il glisse sur l’os frontal

Et s’assure que c’est bien le même homme que la veille.

A pas de loup; les couleurs pénètrent par la croisée

Avec leur longue habitude de ne pas faire de bruit.

La blanche vient de Timor et toucha la Palestine

Et voilà que sur le lit elle s’incline et s’étale

Et cette autre avec regret se sépara de la Chine,

La voici sur le miroir

Lui donnant sa profondeur

Rien qu’en s ‘approchant de lui.

Une autre va vers l’armoire et la frotte un peu de jaune,

Celle-ci repeint de noir

La condition de l’homme

Qui repose dans son lit.

Alors l’âme qui le sait,

Mère inquiète toujours près de ce corps qui s’allonge :

« Le malheur n’est pas sur nous

Puisque le corps de mes jours

Dans la pénombre respire.

Il n’est plus grande douleur

Que ne pas pouvoir souffrir

Et que l’âme soit sas gîte

Devant des portes fermées.

Un jour je serai privée de ce garnd corps près de moi;

J’aime bien à deviner ses formes dessous les draps,

Mon ami le sang qui coule dans son delta malaisé,

Et cette main qui parfois

Bouge un peu sous quelque songe

Qui ne laissera de trace

Dans le corps ni dans son âme.

Mais il dort, ne pensons pas pour ne pas le réveiller,

Ce n’est pas bien difficile

Il suffit de s’appliquer,

Qu’on ne m’entende pas plus que le feuillage qui pousse

Ni la rose de verdure.

Jules Supervielle / Les amis inconnu / Les veuves