« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Les Heures du soir - II


 

 

 

 

S’il était vrai

Qu’une fleur des jardins ou qu’un arbre des prés

Pût conserver quelque mémoire

Des amants d’autrefois qui les ont admirés

Dans leur fraîcheur ou dans leur gloire,

Notre amour s’en viendrait

En cette heure du long regret

Confier à la rose ou dresser dans le chêne

Sa douceur ou sa force avant la mort prochaine.

 

Il survivrait ainsi,

Vainqueur de funèbre souci,

Dans la tranquille apothéose

Que lui feraient les simples choses ;

Il jouirait encor de la pure clarté,

Qu’incline sur la vie une aurore d’été

Et de la douce pluie aux feuilles suspendue.

 

Et si par un beau soir, du fond de l’étendue

S’en venait quelque couple en se tenant les mains,

Le chêne allongerait jusque sur le chemin

Son ombre large et puissante, telle qu’une aile,

Et la rose leur enverrait son parfum frêle.

Émile Verhaeren / Les Heures du soir