La nuit est un détail
Par domcorrieras, le lundi 3 avril 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Quelque chose a bougé,
Je ne sais te dire quoi.
Ma bouche, sans doute,
a toujours la forme du fleuve à la nuque
repliée pour traverser la ville,
le ciel blanc qui descend sur les quartiers
habités, toujours cette même clarté
et j’ai mangé quelques-unes des fraises
devant la maison, leur goût est identique :
d’abord le sucre puis cette lame acide qui
ramène tout au premier plan.
Pourtant,
je sens que sous mes pieds la terre des routes,
à mes pas, ne renvoie plus le même son.
Tu sais,
je crois que mes os sont devenus des lames
de bois, sèches,
et certains soirs,
le vent peut me passer par le corps
et laisser venir la musique
sans déranger le moindre monde.
Maintenant que tu es là,
que nos yeux se penchent et ploient
souples et libres comme le sont les arbres
au bord des routes,
je sais que peu importe l’exacte vérité,
la nuit est un détail.
Nous étions plusieurs
le ciel avait l’obscurité du ventre des poissons
et nous avons saisi,
lentement,
profondément,
dans l’obscurité quelque chose a bougé,
s’est mis à osciller
lentement,
profondément.
À cette heure-ci tu me regardes,
le visage tourné tu demandes :
comment faire pour ne pas dissoudre,
disperser ce qui vient d’arriver ?
l’emporter avec soi ?
Je ne sais pas.
Je te regarde.
Tes oreilles,
puis jusqu’aux genoux
et je remonte où commencent tes jambes.
Je devine, sous tes vêtements, ton ventre
travailler.
Comme une tour éteinte, mon corps fixe
chaque point de clarté.
Il n’y a, au dehors,
que le bruit du train qui passe
de plus en plus rarement.
Tu regardes mes mains,
ma gorge immobile,
mon nez plein de toi,
et nous voudrions que ce temps dure
comme dure un orage.
Samaël Steiner / Seul le bleu reste