« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La mort du dragon

 

 

 

 

 

Lorraine tu ploies sous un ciel tonnant

Sous les haut-fourneaux j’entends les sirènes

Notre éperdument belle souveraine

Nous habille en noir à midi sonnant

 

L’âcre fumée jaune envahit nos chambres

La grisaille égaie nos mornes saisons

Tous les ouvriers perdent la raison 

Quand se revêt d’or la vie de novembre

 

Des lingots brûlants  des coulées de lave

Du fer à frapper tout être qui veut

Remettre à demain cette vie d’esclave 

Des griffes de givre en ses blancs cheveux

 

Sous les ponts-roulants la tendresse rouille

Dans la cuve orange un homme est tombé

L’on entend les chants de Monsieur l’abbé

Une veuve en noir là-bas s’agenouille

 

L’usine est vendue  Les gens sont allés

Retrouver le chant de belles sirènes

En d’autres pays en d’autres Lorraines

S’éteignent les feux dans notre vallée

 

J’ai troqué mon bleu contre un vieux pourpoint

Je passe mes nuits à guetter l’orage

Mais au petit jour rien ne m’encourage

À battre pavé à lever le poing                    

 

(…)

 

Longtemps le dragon suivit la rivière

Comme un long serpent voulant avaler

La fumée de fer en cette vallée

Un jour le dragon ferma ses paupières

 

Sur son corps tout chaud sur sa carapace

S’est dévergondé un ogre malin

La liquette brune un air patelin

Le fiel envoûtant le pauvre qui passe

 

Quand bien même il n’a plus rien à manger

Le dragon surveille encore les anges

Qui ne volent plus au dessus d’Hayange

Demain partiront tous les étrangers

 

J’ai troqué mon bleu contre un vieux pourpoint

Je passe mes nuits à guetter l’orage

Au petit matin cela m’encourage

N’oublions jamais  Je lève le poing

Justin Beausonge / inédit