« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA HAINE DU SOLEIL

 



A Mademoiselle L. R.

 

 

I

Un soir, j’étais debout derrière une fenêtre…

Contre la vitre en feu j’avais mon front songeur,

Et je voyais, là-bas, lentement disparaître

Un soleil embrumé qui mourait sans splendeur !

C’était un vieux soleil des derniers soirs d’automne,

Globe d’un rouge épais, de chaleur épuisé,

Qui ne faisait baisser le regard à personne

Et qu’un aigle aurait méprisé !

 

II

 

Alors, je me disais, en une joie amère :

« Et toi, Soleil, aussi j’aime te voir sombrer I

Astre découronné, comme un roi de la terre,

Tête de Roi tondu que la nuit va cloîtrer ! »

Demain, je le sais bien, tu sortiras des ombres ;

Tes cheveux d’or auront tout à coup repoussé.

Qu’importe ! j’aurai cru que tu meurs quand tu sombres !

Un moment, je l’aurai pensé !

 

III

 

Un moment, j’aurai dit : c’en est fait : il succombe,

Le monstre lumineux qu’ils disaient éternel,

Il pâlit comme nous, il se meurt, et sa tombe

N’est qu’un brouillard sanglant dans quelque coin du ciel.

Grimace de mourir, grimace funéraire,

Qu’en un ciel ennuité chaque jour il fait voir…

Eh bien, cela m’est doux de la sentir vulgaire,

Sa façon de mourir, ce soir !

 

IV

 

Car je te hais, Soleil ! oh ! oui, je te hais, comme

L’impassible témoin des douleurs d’ici-bas…

Chose de feu, sans cœur, je te hais, comme un homme !

L’être que nous aimons passe, et tu ne meurs pas !

L’œil bleu, le vrai soleil qui nous verse la vie,

Un jour perdra son feu, son azur, sa beauté,

Et tu l’éclaireras de ta lumière impie,

Insultant d’immortalité !

 

V

 

Et voilà, vieux Soleil, pourquoi mon cœur t’abhorre !

Voilà pourquoi je t’ai toujours haï, Soleil !

Pourquoi je dis le soir, quand le jour s’évapore :

Ah ! si c’était sa mort, et non plus son sommeil !

Voilà pourquoi je dis, quand tu sors d’un ciel sombre :

« Bravo ! ses six mille ans l’ont enfin achevé !

L’œil du cyclope a donc enfin trouvé dans l’ombre

La poutre qui l’aura crevé ! »

 

VI

 

Et que le sang en pleuve, et sur nos fronts ruisselle,

A la place où tombaient tes insolents rayons !

Et que la plaie aussi nous paraisse éternelle

Et mette six mille ans à saigner sur nos fronts !

Nous n’aurons plus alors que la nuit et ses voiles,

Plus de jour lumineux dans un ciel de saphir !

Mais n’est-ce pas assez que le feu des étoiles

Pour voir ce qu’on aime mourir !…

 

VII

 

Pour voir la bouche en feu par nos lèvres usée

Nous dire froidement : « C’est fini ! Laisse-moi ! »

Et s’éteindre l’amour qui, dans notre pensée,

Allumait un soleil plus éclatant que toi !

Pour voir errer parmi les spectres de la terre

Le spectre aimé qui semble et vivant et joyeux,

La nuit, la sombre nuit est encore trop claire…

Et je l’arracherais des cieux !

Jules Barbey d’Aurevilly / Poussières
Illustration : Portrait de Jules Barbey d'Aurevilly par Carolus Duran