« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Les prolétaires magiques


 

 

Au comptoir de l’aurore les rhums

On les dégommait comme

Les dominos

Garage des Antilles

En face l’huilerie

Compère guilleri

J’étais l’ami des éboueurs

J’étais armateur  sans navire

Et je chassais la marées noire

A l’arme blanche

La semaine jusqu’au dimanche

Chantez chantez pour rien

N’importe quoi des ritournelles

Chantez pleurez puisque c’est vivre

 

Au comptoir des Antilles

Dans le haut quartier des colons

Entre la rive et les Chartrons

J’ai tant et tant posé le coude

Je ne sais de la vie qu’une oiseuse redite

Et remettez-nous ça

On trinque les mains se joignent

Autour d’un verre

C’est le bocal de la prière

 

Le cantonnier se plie en deux

Pour couper les cailloux en quatre

Ses plaies sont lèvres incisives

Pour abolir la sueur  salive

Qui gorge les ampoules

Il pisse dans ses mains

Car le cal est l’allié du manche

 

La dalle de l’usine est souillée de clartés

Du jus du sang d’un arc-en-ciel

Que filtre le carreau

Pour essuyer Sainte Tristesse

L’aura cruelle des rayons

Nos bleus sont maculés

De taches de croyance

Mais retiens l’espérance

 

 

En voyant rien qui vienne

A sa tour cathédrale

La vierge vert de gris

Tire à sa Gitane

Comme l’air des montagnes

Petit Jésus sent pas la rose

Se dit la nounou du bon dieu

Son lange y est pour quelque chose

Pour le change il faut redescendre

C’est le hic de la transcendance

 

Il a fallu lui faire un horizon funèbre

A cette vie route et méandre

J’en eus

Aïe les vertèbres au cul

Fièvre de cheval

Et cheval de retour

J’espère le retour de flamme

 

Un vert couchant enchante

La brique du quartier

Les ouvriers en salopette

Qui secouent comme des clochettes

La gamelle salutaire

Que l’on confie aux prolétaires

Ils ont les yeux fermés à clé

 

Entrer dans la ville

Espérer la mer

Au bout du brun de la Garonne

Ça sentait l’arachide

Les matins laborieux

De cette rive à l’autre rive

 

La nuit lunaire sur les docks

Devant des paladins bleus

Les baisers viennent sur sa peau

Fille antille au nu caramel

Dont ont rêvé les matelots

Et par sa fente de cannelle

Goutte à goutte un filet rubis

De Chine

 

L’anguille est d’elle le lasso

On peut être et être son propre piège

Poisson funèbre le poème

Choisit entre deux flots

Le courant est toujours  contraire

 

Hôtel Saint-François

L’Atlante a perdu sa tête de sable

Et le balcon lui pend au col

Usé jusqu’à rien être

Que l’eau de roche évaporée

Gravée au bec des  tourterelles

 

La plaie qui sourit christement

A mon flanc est trou des idiots

Le creux de l’âme au vague

Malin rictus des goélands

Je t’en foutrai des prolétaires

L’isthme estuaire de l’espoir

Ouvre loin au val Pacifique

Je t’en foutrai des prolétaires.

Jean Camille