« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES MAINS


 

 

Aimez vos mains afin qu'un jour vos mains soient belles,

II n'est pas de parfum trop précieux pour elles,

Soignez-les. Taillez bien les ongles douloureux,

II n'est pas d'instruments trop délicats pour eux.

 

C'est Dieu qui fit les mains fécondes en merveilles

Elles ont pris leur neige au lys des Séraphins,

Au jardin de la chair ce sont deux fleurs pareilles,

Et le sang de la rose est sous leurs ongles fins.

 

Il circule un printemps mystique dans les veines

Où court la violette, où le bluet sourit

Aux lignes de la paume ont dormi les verveines

Les mains disent aux yeux les secrets de l'esprit.

 

Les peintres les plus grands furent amoureux d'elles,

Et les peintres des mains sont les peintres modèles.

 

Comme deux cygnes blancs l'un vers l'autre nageant,

Deux voiles sur la mer fondant leur pâleurs mates,

Livrez vos mains à l'eau dans les bassins d'argent.

Préparez-leur le linge avec les aromates.

Les mains sont l'homme, ainsi que les ailes l'oiseau

Les mains chez les méchants sont des terres arides

Celle de l'humble vieille, où tourne un blond fuseau,

Font lire une sagesse écrite dans leur rides.

 

Les mains des laboureurs, les mains des matelots

Montrent le haie d'or des Cieux sous leur peau brune.

L'aile,des goélands garde l'odeur des flots,

Et les mains de la Vierge un baiser de la lune.

 

Les plus belles parfois font le plus noir métier,

Les plus saintes étaient les mains d'un charpentier.

 

Les mains sont vos enfants et sont deux soeurs jumelles

Les dix doigts sont leurs fils également bénis;

Veillez bien sur leurs jeux, sur leurs moindres querelles

Sur toute leur conduite aux détails infinis.

 

Les doigts font les filets et d'eux sortent les villes

Les doigts ont révélé la lyre aux temps anciens

Ils travaillent, pliés aux tâches les plus viles,

Ce sont des ouvriers et des musiciens.

 

Lâchés dans la forêt des orgues le dimanche,

Les doigts sont des oiseaux, et c'est au bout des doigts

Que, rappelant le vol des geais de branche en branche,

Rit l'essaim familier des Signes de la Croix.

 

Le pouce dur, avec sa taille courte et grasse,

A la force il a l'air d'Hercule triomphant

Le plus faible de tous, le plus doux a la grâce,

Et c'est le petit doigt qui sut rester enfant.

 

Servez vos mains, ce sont vos servantes fidèles

Donnez à leur repos un lit tout en dentelles.

 

Ce sont vos mains qui font la caresse ici-bas

Croyez qu'elles sont soeurs des lys et soeurs des ailes

Ne les méprisez pas, ne les négligez pas,

Et laissez-les fleurir comme des asphodèles.

 

Portez à Dieu le doux trésor de vos parfums,

Le soir, à la prière éclose sur les lèvres,

0 mains, et joignez-vous pour les pauvres défunts,

Pourvue Dieu dans les mains rafraîchisse nos fièvres,

 

Pour que le mois des fruits vous charge de ses dons;

Mais ouvrez-vous toujours sur un nid de pardons.

 

Et vous, dites, ô vous, qui, détestant les armes,

Mirez votre tristesse au fleuve de nos larmes,

Vieillard, dont les cheveux vont tout blancs vers le jour,

Jeune homme, aux yeux divins où se lève l'amour,

Douce femme mêlant ta rêverie aux anges,

Le coeur gonflé parfois au fond des soirs étranges.

Sans songer qu'en vos mains fleurit la volonté,

Tous, vous dites « Où donc est-il, en vérité,

Le remède, ô Seigneur, car nos maux sont extrêmes?

 

Mais il est dans vos mains, mais il est vos mains.

Germain Nouveau / Poésies d'Humilis et vers inédits