« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ATTENTE


 

 

J'ai vécu sans le savoir,

     Comme l'herbe pousse...

Le matin, le jour, le soir

     Tournaient sur la mousse.

 

Les ans ont fui sous mes yeux

     Comme à tire-d'ailes.

D'un bout à l'autre des cieux

     Fuient les hirondelles...

 

Mais voici que j'ai soudain

     Une fleur éclose.

J'ai peur des doigts qui demain

     Cueilleront ma rose,

 

Demain, demain, quand l'Amour

     Au brusque visage

S'abattra comme un vautour

     Sur mon coeur sauvage,..

 

Quand mes veines l'entendront

     Sur la route gaie,

Je me cacherai le front

     Derrière une haie

 

Quand mes cheveux sentiront

     Accourir sa fièvre,

Je fuirai d'un saut plus prompt

     Que le bond d'un lièvre.

 

Quand ses prunelles, ô dieux,

     Surprendront mon âme,

Je fuirai, fermant ses yeux,

     Sans voir feu ni flamme.

 

Quand me suivront ses aveux

     Comme des abeilles,

Je fuirai, de mes cheveux

     Cachant mes oreilles.

 

Quand m'atteindra son baiser,

     Plus qu'à demi-morte,

J'irai sans me reposer

     N'importe où, n'importe

 

Où s'ouvriront des chemins

     Béants au passage,

Éperdue et de mes mains

     Couvrant mon visage;

 

Et, quand d'un geste vainqueur,

     Toute il m'aura prise,

Me débattant sur son coeur,

     Farouche, insoumise,

 

Je ferai, dans mon effroi .. .

     D'une heure nouvelle.

D'un obscur je ne sais quoi,

     Je ferai, rebelle,

 

Quand il croira me tenir

     A lui tout entière,

Pour retarder l'avenir,

     Vingt pas en arrière!...

 

S'il allait ne pas venir !…

Marie Noël / Les Chansons et les Heures