pâques marines
Par domcorrieras, le vendredi 12 février 2021 - Poèmes & chansons - lien permanent
il pleut il pleut bergère
c'était le jour de Pâques
je suivais dans les flaques
de belles étrangères…
Notre-Dame-des-Passes sonnait la bonne
nouvelle
sur l'océan couvert de cadavres inconnus
une foule se presse pour la bénédiction
certains portent un enfant au long profil
d'ébène
d'autres accrochent à des ancres des étoiles de
mer
tombées entre les barques d'autres assis en
silence
répètent lentement la toilette des morts
d'autres encore vers le ciel promènent des
images
d'autres enfin ivres derrière des masques
chauves
se signaient à genoux devant le maître autel
j'ouvrais le ventre blanc de grands poissons
intimes
tandis qu'à mes côtés des enfants impassibles
jetaient des rameaux d'or sur le chemin de
croix
la meute assermentée des prêtres mercenaires
menait la procession vers la fosse commune…
les coquillages blonds suintent d'eau bénite
et les corps se débouchent denses comme du
feutre
à la douce chaleur des cierges qui vacillent
on aurait dit que des marins perdus en mer
enfonçaient leurs doigts gourds
dans la chair bleue des algues..
les phalènes s'épuisent de ne pouvoir mourir
c'est l'heure de la grand'messe on va battre
tambour
des femmes de noyés s'en viennent déposer
un bouquet d'immortelles aux pieds de Notre-
Dame
qui semble si petite en robe de mariée
et des fils de la Vierge tissés dans les haubans
accrochent à la mâture des chevelures
mauves…
on a volé la mort pendant que je dormais
hurlait le Commandeur au pied du tombeau
vide
le visage éclaté sous des sueurs de sang…
au fond du chœur de beaux enfants
cérémonieux
donnent la communion à l'équipe de nuit
le ciel est noir de monde le feu est plein
d'abeilles
des sacristains pervers roulent dans l'escalier
qui conduit à la tour d'où l'on voit l'océan…
les anges sur les quais crachent du varech noir
de leurs lèvres moisies embouchant
des trompettes
ils annoncent aux pauvres une vieille nouvelle
je suis la vérité le chemin et la vie
disait celui qui tombe pour la troisième fois…
plus personne ne veille au mont des oliviers
ni le pain ni le vin ne me sont familiers
cloué au bois ou debout contre un mur je suis
cet enfant-là qui meurt et ne peut pas mourir
enfin le cheval blanc est tombé sur la route…
depuis ce jour je vais la tête écartelée
vers toutes les saisons de la miséricorde
je cherche la naissance introuvable du vent
je guette le passage des oiseaux majuscules
et j'invente pour rire un chemin sur la mer…
les cloches s'envolaient de toutes les églises
moi je saoulais les anges au fond d'un cabaret
j'allais jusqu'où l'eau monte embuée
de légendes
je me signais dans l'ombre avec un doigt de
bière
et je crevais des physalies multicolores…
bien au-dessus des terres je me suis mis à jouir
le vin des saintes tables se glaçait dans les
coupes…
ainsi j'allais pieds nus sans frère
et sans lumière
j'allais sans feu ni lieu les jours sans
Dieu
je faisais toutes voiles vers le royaume des
cieux…
il pleut il pleut bergère
c'était le jour de Pâques
je suivais dans les flaques
de belles étrangères…
N.-D.-des-Passes, oct. 64
Tristan Cabral / Ouvrez le feu !