« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

pâques marines


 

 

 

          il pleut il pleut bergère

          c'était le jour de Pâques

          je suivais dans les flaques

          de belles étrangères…

 

Notre-Dame-des-Passes sonnait la bonne

     nouvelle

sur l'océan couvert de cadavres inconnus

une foule se presse pour la bénédiction

certains portent un enfant au long profil

     d'ébène

d'autres accrochent à des ancres des étoiles de

     mer

tombées entre les barques d'autres assis en

     silence

répètent lentement la toilette des morts

d'autres encore vers le ciel promènent des

     images

d'autres enfin ivres derrière des masques

     chauves

se signaient à genoux devant le maître autel

j'ouvrais le ventre blanc de grands poissons

     intimes

tandis qu'à mes côtés des enfants impassibles

jetaient des rameaux d'or sur le chemin de

     croix

la meute assermentée des prêtres mercenaires

menait la procession vers la fosse commune…

les coquillages blonds suintent d'eau bénite

et les corps se débouchent denses comme du

     feutre

à la douce chaleur des cierges qui vacillent

on aurait dit que des marins perdus en mer

enfonçaient leurs doigts gourds

      dans la chair bleue des algues..

 

les phalènes s'épuisent de ne pouvoir mourir

c'est l'heure de la grand'messe on va battre

     tambour

des femmes de noyés s'en viennent déposer

un bouquet d'immortelles aux pieds de Notre-

     Dame

qui semble si petite en robe de mariée

et des fils de la Vierge tissés dans les haubans

accrochent à la mâture des chevelures

     mauves…

on a volé la mort pendant que je dormais

hurlait le Commandeur au pied du tombeau

     vide

le visage éclaté sous des sueurs de sang…

 

au fond du chœur de beaux enfants

     cérémonieux

donnent la communion à l'équipe de nuit

le ciel est noir de monde le feu est plein

     d'abeilles

des sacristains pervers roulent dans l'escalier

qui conduit à la tour d'où l'on voit l'océan…

les anges sur les quais crachent du varech noir

de leurs lèvres moisies embouchant

     des trompettes

ils annoncent aux pauvres une vieille nouvelle

je suis la vérité le chemin et la vie

disait celui qui tombe pour la troisième fois…

 

plus personne ne veille au mont des oliviers

ni le pain ni le vin ne me sont familiers

cloué au bois ou debout contre un mur je suis

cet enfant-là qui meurt et ne peut pas mourir

enfin le cheval blanc est tombé sur la route…

depuis ce jour je vais la tête écartelée

vers toutes les saisons de la miséricorde

je cherche la naissance introuvable du vent

je guette le passage des oiseaux majuscules

 

et j'invente pour rire un chemin sur la mer…

les cloches s'envolaient de toutes les églises

moi je saoulais les anges au fond d'un cabaret

j'allais jusqu'où l'eau monte embuée

     de légendes

je me signais dans l'ombre avec un doigt de

bière

et je crevais des physalies multicolores…

bien au-dessus des terres je me suis mis à jouir

le vin des saintes tables se glaçait dans les

     coupes…

ainsi j'allais pieds nus sans frère

     et sans lumière

j'allais sans feu ni lieu les jours sans

     Dieu

je faisais toutes voiles vers le royaume des

     cieux…

 

          il pleut il pleut bergère

          c'était le jour de Pâques

          je suivais dans les flaques

          de belles étrangères…

 

N.-D.-des-Passes, oct. 64

Tristan Cabral / Ouvrez le feu !