« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE CHIEN NOIR


 

 

Ce chien noir qui me suit, jamais à mes côtés,

Tout derrière collé à mes pas

Comme une ombre qu'on ne voit pas,

Pourtant certaine,

 

Tellement basse qu'en me penchant

Je ne saurais l'atteindre

De la main ni l'écraser du pied,

Chien noir sans chaîne ni collier,

 

Il est là, je l'entends, je le sens

Avec ses mille pattes canines,

Il fait derrière moi un sombre bruit de pluie

Et m'enfonce au mollet sa dent de sacristie.

 

Car c'est un chien dévotieusement méchant,

De ces chiens qui mordent par derrière,

Je ne l'appellerai d'aucun nom de baptême

Il me rirait au dos, tout en marchant,

 

Le chien noir de ma vie terrestre monotone

O que ma tête vite se dégage

De mon corps qui fait ombre à mes pieds,

Tache d'encre, chien noir, vite, arrachons la page.

 

1948.

Franz Hellens / Vers inédits (1947-1959)
Illustration : Franz Hellens, portrait par Léon Spiliaert (1920)