West Indies Ltd
Par domcorrieras, le mardi 15 septembre 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
I
West Indies ! Noix de coco, tabac et eau-de-vie…
Voici un peuple obscur, un peuple souriant,
conservateur et libéral,
peuple éleveur et sucrier,
où parfois l'argent coule à flots,
mais où l'on vit toujours très mal.
Le soleil grille ici toutes les choses,
il grille le cerveau et grille jusqu'aux roses.
Et sous notre éclatant costume de coutil
nous portons encore des pagnes ;
gens simples, tendres, fils d'esclaves
et de cette pègre incivile,
si variée en son origine,
dont Colomb, au nom de l'Espagne,
fit don aux Indes — geste gracieux —.
Voici des Blancs, des Noirs, des Chinois, des mulâtres.
Il s'agit, n'est-ce pas, de couleurs à bas prix,
car à travers tant de contacts et de contrats
les couleurs ont couru et pas un ton n'est stable.
(Que celui qui pense autrement fasse un pas et qu'il parle.)
Ici il y atout cela, et il ya des partis politiques
et des orateurs qui déclarent : « En ces moments critiques… »
Il y a des banques, il y a des banquiers,
des législateurs, des boursiers,
des avocats, des journalistes,
des médecins et des portiers.
Que peut-il nous manquer ?
Et même si quelque chose manquait nous le ferions chercher.
West Indies ! Noix de coco, tabac et eau-de-vie.
Voici un peuple obscur, un peuple souriant.
Terre insulaire !
Ah, terre étroite !
N'est-il pas vrai qu'elle nous paraît faite
pour abriter seulement une palmeraie ?
Terre d'escale pour « L'Orénoque »
ou autre bateau d'excursion,
bondé, sans un artiste
et sans un fou ;
ports où celui qui rentre de Tahiti,
d'Afghanistan ou de Séoul,
vient se nourrir de bleu du ciel,
en l'arrosant de Baccardi ;
ô ports qui parlent anglais
qui commence par yes et s'achève par yes.
(Anglais de cicérone à quatre pattes.)
West Indies ! Noix de coco, tabac et eau-de-vie.
Voici un peuple obscur, un peuple souriant.
Je me ris de toi, noble es Antilles,
singe qui t'avances par sauts d'un arbre à l'autre,
ô paillasse qui sue pour éviter la gaffe
et la commets toujours, plus grande chaque fois.
Je me ris de toi, Blanc aux veines vertes
— ces veines qui paraissent quoi que tu fasses pour les cacher ! —
Je me ris de toi parce que tu parles d'aristocraties pures,
de raffineries florissantes, de coffres-forts garnis.
Je me ris de toi, ô nègre singeur,
qui ouvre grands tes yeux devant l'auto des riches
et qui te sens honteux de voir ta peau si noire
alors que ton poing est si dur !
Je me ris de tous : du policier et de l'ivrogne,
du père et de son rejeton,
du Président et du pompier.
Je me ris de tous ; je me ris du monde entier.
Du monde entier ému devant quatre pantins
qui se redressent orgueilleux derrière leurs blasons criards
comme quatre sauvages au pied du cocotier.
… / …
Nicolás Guillén / Le Chant de Cuba / Wewt Indies Ldt (extrait)
traduction Claude Couffon