« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

GUADALUPE DE ALCARAZ


 

 

Guadalupe de Alcaraz a des mitaines d’or,

des fleurs de grenadiers suspendus aux oreilles

et deux accroche-cœur pareils à deux énormes

cédilles plaquées sur son front lisse de vierge.

 

Ses yeux sont dilatés comme par quelque drogue

(on dit qu’on employait jadis la belladone) ;

ils sont passionnés, étonnés et curieux,

et leurs prunelles noires roulent dans du blanc-bleu.

 

Le nez est court et courbe comme le bec des cailles.

Elle est dure, ronde comme une grenade.

Elle s’appelle aussi Rosita-Maria,

mais elle appelle sa duègne : carogna !

 

Toute la journée elle mange du chocolat,

ou bien elle se dispute avec sa perruche

dans un jardin de la vallée d’Alméria

plein de ciboules bleues, de poivriers et de ruches.

 

*

*       *

 

Lorsque Guadalupe qui a dix-sept ans

en aura quatre-vingts, elle s’en ira souvent

dans le jardin aux forts parfums, aux fleurs gluantes,

jouer de la guitare avec de petits gants.

 

Elle aura le nez crochu et le menton croche,

les yeux troubles des vieux enfants, la maigreur courbe,

et une chaîne d’or à longues émeraudes

qui, roide, tombera de son col de vautour.

 

D’un martinet géant et qui sera sa canne,

elle battra les chats, les enfants et les mouches.

Pour ne pas répondre, elle serrera la bouche.

Elle aura sur la lèvre une moustache rase.

 

Elle aura dans sa chambre une vierge sous globe,

gantée de blanc, avec de l’argent sur sa robe.

Cette vierge de cire sera sa patronne,

c’est-à-dire Notre-Dame-de-Guadalupe.

 

Lorsque Guadalupe de Alcaraz mourra,

de gros hidalgos pareils à des perroquets

prieront devant ses pieds minces et parallèles,

en ayant l’air d’ouvrir et de fermer les ailes.

Francis Jammes / Le deuil des primevères (1901)