« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Je ne veux pas évoluer plus loin que l’homme


 

 

 

Je ne veux pas évoluer plus loin que l’homme.  
Mon être a trop, déjà, de l’effort atavique ;  
J’ai fait tant de chemin à travers mes ancêtres,  
Depuis le carrefour lointain où la matière                          
          A rencontré la vie,  
J’ai la tête si trouble et les jambes si lourdes  
Que je m’arrête enfin pour dormir sous les feuilles.      

Mon corps n’est pas une charpente boulonnée  
Dans l’enchevêtrement d’un corps supérieur ;  
Oh ! nous n’aurons pas mis à me donner un cœur,  
Ma race tant de siècles et moi tant d’années.  
Pour soumettre ses battements à la cité.      

Je ne suis plus l’élan fidèle qui s’arcboute  
Et qui porte un ensemble aux voûtes colossales ;  
Mais je ressemble aux brins d’herbe sans idéal  
Dont les arcs lâchement ont plié sous mon cou.      

Je ne consens à rien qui soit plus grand que moi ;  
Je suis le ruisseau las qui n’ira pas au fleuve,  
Et qui, ayant fait halte au fond de la vallée,  
N’est plus qu’un lac qui s’évapore et qui s’endort
          Sous les feuilles. 
 

Jules Romains / La Vie unanime, 1908
Illustration : Portrait de Jules Romains (Louis Farigoule, 1885-1972, dit) par Paul-Émile Bécat