« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

SOLOMON GRUNDY


 

 

Né un lundi dans les muqueuses et le sang

et dans les bras d’une mère adolescente

glissant de terreur, sous une lune qui fourmillait

de champignons plongés dans le noir

pendant que les sangsues suçaient et collaient

aux morts.     Le monde

ruisselle comme un utérus, pensa-t-il,

gargouillant et troublé de larmes.

 

Baptisé un mardi avec de l’eau et pleurant

par une journée si humide que les grenouilles ravies

pleuvaient des arbres

et que le prêtre chantait, « Je t’exorcise »

et la couche chaude et mouillée gela

au contact brûlant et flamboyant de la neige fondue

et Marie de la Miséricorde aux pieds blancs et nus

lui transperça la vessie de son regard de plâtre

et Solomon Grundy frissonna et hurla.

 

Marié un mercredi pour le meilleur ou pour le pire

parce qu’elle avait du lait chaud dans les veines

et que la chair était douce sur ses membres

et les cloches crièrent dans les clochers

et la mouche dormit dans les excréments.

Et à l’endroit de leur rencontre il baigna

entre les langues blanches et lisses de leurs draps.

Un temps ils connurent la paix et l’amour et elle dit,

Ensemble, nous avons atteint un point

d’où il est impossible de revenir.

Il déroula son plaisir en elle comme le sperme soulage.

 

Tombé malade un jeudi à l’ombre estivale

d’un arbre à fièvre, et le prêtre hurla,

« Je t’exorcise ! » et l’infirmière arriva en trombe

la sacoche pleine de cachets

d’une mèche de ses cheveux, et de bave

et de crapauds.     Ils le bandèrent,

le radiographièrent, l’amputèrent de tous

ses orteils gonflés d’eau, et jamais ne perdirent espoir jusqu’à

ce que sa dernière pièce tombe de sa poche, et pourtant

le vendredi, il n’était toujours pas guéri.

 

L’état de Solomon Grundy empira un vendredi

et le soleil fut dissous par la pluie

et une nonne passa à tire-d’aile portée par un vent d’encre.

Sa femme capitula et rentra chez elle

où elle glissa aussitôt dans la boue huileuse

glissante sous la langue du fils du voisin.

Et Solomon Grundy, aveugle et privé d’orteils,

écouta des feuilletons tout l’après-midi, et pleura.

 

Solomon Grundy mourut un samedi

et le prêtre bourdonna autour de son cadavre comme une mouche

et sa mère extirpa des vers de ses yeux

et sa femme essuya la fleur qui pleurait

pour un autre entre ses cuisses.

Et les limaces et le néant se collèrent à lui et sucèrent.

 

Éviscéré, embaumé, inhumé un samedi

ainsi finit Solomon Grundy.

Laura Kasischke / Mariées rebelles