SOLOMON GRUNDY
Par domcorrieras, le mardi 12 mars 2019 - Poèmes & chansons - lien permanent
Né un lundi dans les muqueuses et le sang
et dans les bras d’une mère adolescente
glissant de terreur, sous une lune qui fourmillait
de champignons plongés dans le noir
pendant que les sangsues suçaient et collaient
aux morts. Le monde
ruisselle comme un utérus, pensa-t-il,
gargouillant et troublé de larmes.
Baptisé un mardi avec de l’eau et pleurant
par une journée si humide que les grenouilles ravies
pleuvaient des arbres
et que le prêtre chantait, « Je t’exorcise »
et la couche chaude et mouillée gela
au contact brûlant et flamboyant de la neige fondue
et Marie de la Miséricorde aux pieds blancs et nus
lui transperça la vessie de son regard de plâtre
et Solomon Grundy frissonna et hurla.
Marié un mercredi pour le meilleur ou pour le pire
parce qu’elle avait du lait chaud dans les veines
et que la chair était douce sur ses membres
et les cloches crièrent dans les clochers
et la mouche dormit dans les excréments.
Et à l’endroit de leur rencontre il baigna
entre les langues blanches et lisses de leurs draps.
Un temps ils connurent la paix et l’amour et elle dit,
Ensemble, nous avons atteint un point
d’où il est impossible de revenir.
Il déroula son plaisir en elle comme le sperme soulage.
Tombé malade un jeudi à l’ombre estivale
d’un arbre à fièvre, et le prêtre hurla,
« Je t’exorcise ! » et l’infirmière arriva en trombe
la sacoche pleine de cachets
d’une mèche de ses cheveux, et de bave
et de crapauds. Ils le bandèrent,
le radiographièrent, l’amputèrent de tous
ses orteils gonflés d’eau, et jamais ne perdirent espoir jusqu’à
ce que sa dernière pièce tombe de sa poche, et pourtant
le vendredi, il n’était toujours pas guéri.
L’état de Solomon Grundy empira un vendredi
et le soleil fut dissous par la pluie
et une nonne passa à tire-d’aile portée par un vent d’encre.
Sa femme capitula et rentra chez elle
où elle glissa aussitôt dans la boue huileuse
glissante sous la langue du fils du voisin.
Et Solomon Grundy, aveugle et privé d’orteils,
écouta des feuilletons tout l’après-midi, et pleura.
Solomon Grundy mourut un samedi
et le prêtre bourdonna autour de son cadavre comme une mouche
et sa mère extirpa des vers de ses yeux
et sa femme essuya la fleur qui pleurait
pour un autre entre ses cuisses.
Et les limaces et le néant se collèrent à lui et sucèrent.
Éviscéré, embaumé, inhumé un samedi
ainsi finit Solomon Grundy.
Laura Kasischke / Mariées rebelles