« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Mon frère, le buveur


 

 

Levez haut vos verres, trinquez qu’on les entende tinter,

Poussez des cris de joie jusques au ciel,

Et laissez derrière vous vos soucis.

Je souhaite longue vie au noble vin,

Un autre où qu’il puisse se trouver,

Y mêle son pays et sa bien-aimée.

 

Patron, patron, venez donc par ici !

De nouveau mon cher cruchon est vide ;

Remplissez-le ! Bientôt je vous rappellerai.

Ajoutez-le à l’autre ! Aujourd’hui, je n’ai pas d’argent,

À Dieu ne plaise, une autre fois je paierai —

Vive le vin et les chansons !

 

Laisse aller les choses comme elles vont !

Qui sait, pour finir un jour encore viendra,

Où les florins tomberont du ciel.

Avec des soucis et des calculs, on ne va pas loin,

Quand du ciel il neigera de l’or et de l’argent,

Je paierai même ce que je dois.

 

Gai comme le vin, tel est l’état de mon humeur,

Qui fait que j’aime tant chanter une joyeuse chanson,

Une mélodie sonnante, guillerette ;

C’est pourquoi j’aime boire quand mon verre est plein,

Et qu’en buvant je trouve mon plaisir

Au milieu des rires des copains.

 

Quand, au petit matin, le jour entre par les vitres,

Souvent il me trouve seul devant mon gobelet,

Et je le salue avec joie : « Bonjour ! »

Le soir, de bonne humeur, je l’appelle,

Et, longtemps éveillé, je reste encore dans mon troquet

Quad d’autres dorment, préoccupés.

 

Et si, pour finir, je ferme les yeux,

Du temps passe encore avant que j’aille me reposer ;

Je peux alors cuver mon vin.

Pendant ce temps les amis s’en vont gaiement,

Et certains parlent encore gentiment

De leur frère, le bon buveur.

 

Hermann Hesse / C’en est trop - Poèmes 1892-1962
traduit de l’alemand par François Mathieu