« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Danse macabre


 

 

Dansons tous en chœur, donnez-vous la main :

C’est l’heure indécise où l’astre du soir invite les Mânes.

À travers les nues Cynthie insinue

La lueur tremblante de ses cornes pâles.

 

Vieillards accoutrés d’une pauvre bure,

Vierges revêtues d’une robe grise,

Et la jeune troupe en couleur violette,

Nous formons des pas d’un rythme alterné.

 

La tiare des papes, aux relents d’encens,

Le béret du pâtre qui sent la campagne,

La pourpre des rois, et l’humble manteau

Dans l’anonymat ici se côtoient.

 

Aucun ne s’inquiète de son propre tertre,

N’envie à autrui convoi, épitaphe.

Tous autant qu’ils sont, à titres divers,

La Mort les a pris, qui rien ne distingue.

 

Nous aussi pourtant nous avons nos astres,

Plus pâles peut-être ; et souffle un zéphyr

Différend du vrai, et passe légère

Ue bise au bois planté de cyprès.

 

Ô âmes plaintives, quittes désormais

De la vie sur terre, le sol sous nos pieds

Jonchez de fleurs noires, répandez des lys

Dont la couleur sombre soit à notre goût.

 

Ô combien nos pieds sont faits pour la danse :

La terre à grand peine en est secouée.

Toute masse ôtée, légères, sans poids,

Telles nous jouons, fantômes ailés…

 

… Mais toi qui nous vois frapper dans nos mains,

Tu fredonneras ce triste refrain.

Car ce que tu es, jadis nous le fûmes

Et ce que nous sommes, un jour tu seras.

Nous ouvrons la route : prends-la et adieu.

 

Jacob Balde / Odes
traduit du Latin par Pierre Laurens