« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le mordeur


 

 

Longue bougie, éclairez son visage.

Naquit mordeur, enfant de terre ;

Mordit fort au lait de sa mère.

Longue bougie, éclairez son visage.

 

Mordit à la pomme d’enfance

Lisse de jus et de croyances,

Mordit au chiffre, à la grammaire.

Longue bougie, éclairez son ardoise.

 

Mordit au sein de ses chéries,

Lavande, œillet, chardon, framboise.

Mordit le doux, mordit l’amer.

Longue bougie, éclairez ses prairies.

 

Limailles, clous, feux et labeurs,

Mordit au bois, mordit au fer ;

Pour manger, peines qu’il faut faire.

Longue bougie, éclairez sa sueur.

 

Mordit au sel, mordit au gel,

Mordit au gel et à la guerre,

Homme de troupe, homme ordinaire.

Longue bougie, éclairez sa gamelle.

 

Mordit aux draps de maladie.

Dieu, qu’il est tôt, ma fleur de vie ;

Lavande, œillet, chardon, fougère !

A peine mordue et finie.

 

— Holà, mordeur, tiens-toi plus sage,

Assez mordu, mords la poussière !

Mordit la poussière de terre.

Longue bougie, éclairez son visage.

 

Le voir encor loin des vivants ?

Longue bougie, éclairez son visage.

— Grands dieux ! comme il montre les dents !

C’est du ciel qu’il avait la rage.

 

Géo Norge.
Photo : Norge en 1919