DANSANT AVEC LES NOIRS
Par domcorrieras, le jeudi 10 janvier 2019 - Poèmes & chansons - lien permanent
Noirs du continent, vous avez donné
au Nouveau Monde le sel qui lui manquait :
sans Noirs le tambours ne respirent pas
et sans Noirs les guitares ne sonnent pas.
Immobile était notre verte Amérique
jusqu’à ce qu’elle bougeât comme une palme
lorsque d’un couple noir est née
la danse du sang et de la grâce.
Et après avoir souffert tant de misères
et couper la canne à sucre jusqu’à mourir
et s’occuper des porcs dans la forêt
et charger le pierres les plus lourdes
et laver des pyramides de linge
et monter les escaliers avec des charges
et accoucher sans personne sur le chemin
et n’avoir ni assiette ni cuillère
et recevoir plus de coups que de salaire
et subir la vente de la sœur
et moudre la farine tout un siècle
et ne manger qu’un jour par semaine
et toujours courir comme un cheval
distribuant des caisses d’espadrilles,
maniant la serpe et le balai,
creusant des chemins et des montagnes,
se coucher fatigués avec la mort,
et vivre encore une fois chaque matin
chantant comme personne ne chanterait,
chantant corps et âme toujours.
Mon cœur, pour dire cela
se déchirent ma vie et mes mots
et je ne peux continuer car je préfère
m’en aller avec les palmiers africains,
parrains de la musique terrestre
qui maintenant m’incite de la fenêtre :
et je m’en vais danser sur les chemins
avec mes frères noirs de La Havane.
Pablo Neruda / Chanson de geste / XXXVI