« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

DANSANT AVEC LES NOIRS

 

 

 

Noirs du continent, vous avez donné

au Nouveau Monde le sel qui lui manquait :

sans Noirs le tambours ne respirent pas

et sans Noirs les guitares ne sonnent pas.

Immobile était notre verte Amérique

jusqu’à ce qu’elle bougeât comme une palme

lorsque d’un couple noir est née

la danse du sang et de la grâce.

Et après avoir souffert tant de misères

et couper la canne à sucre jusqu’à mourir

et s’occuper des porcs dans la forêt

et charger le pierres les plus lourdes

et laver des pyramides de linge

et monter les escaliers avec des charges

et accoucher sans personne sur le chemin

et n’avoir ni assiette ni cuillère

et recevoir plus de coups que de salaire

et subir la vente de la sœur

et moudre la farine tout un siècle

et ne manger qu’un jour par semaine

et toujours courir comme un cheval

distribuant des caisses d’espadrilles,

maniant la serpe et le balai,

creusant des chemins et des montagnes,

se coucher fatigués avec la mort,

et vivre encore une fois chaque matin

chantant comme personne ne chanterait,

chantant corps et âme toujours.

Mon cœur, pour dire cela

se déchirent ma vie et mes mots

et je ne peux continuer car je préfère

m’en aller avec les palmiers africains,

parrains de la musique terrestre

qui maintenant m’incite de la fenêtre :

et je m’en vais danser sur les chemins

avec mes frères noirs de La Havane.

Pablo Neruda / Chanson de geste / XXXVI