« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

COMPLAINTE EN CAS DE RÉSURRECTION


 

 

Si je reviens faites de moi par pitié la vapeur d’un bain

La moitié d’une feuille d’arbre la fleur très jaune des

   courgettes

La cendre dans le vent un instant à se prendre pour une aile

   d’oiseau

Mieux encore une tasse vide un ourlet déchiré

Un peu de fil en trop dépassant d’une étoffe

En sursis des ciseaux

 

De la farine au fond d’un moule

Un pétale tombé que les passants piétinent

À l’aube de janvier du givre sur un pare-brise

Les restes tordus d’un mégot

Ou bien le galon de dentelle sur un voilage qu’un peu de vent

   très doucement secoue

 

Rien plus qui pèse en tout cas rien qui pense

J’ai si souvent rêvé des formes délivrées de l’eau

De ce qui coule sans compter de la vague enviant l’écume à

   ses cheveux

Sur le rocher brisé un instant qui s’envole

J’ai si souvent voulu me faire hémorragie

Qu’il y aurait à rejouer le même rôle une amère ironie

 

J’ai songé bien des jours avoir perdu mon poids de peau et

   de passé

Au point d’enfin sentir du frisson le vrai cataclysme

D’un sourire l’exact ravage qu’autrement notre échelle nie

Tant la beauté est un cristal et l’homme devant trop massif

Et fut-ce à force ou par hasard j’ai pu sauver une stature de

   fin d’enfance

Plus près du sol où l’herbe pousse et l’épaule toujours étroite

Passant bien mieux la porte des jardins

 

J’ai jalousé des flaques d’eau

La poussière en avril à travers les vitres que le soleil pétrit

Toute une vie durant j’ai pris modèle sur la pluie

Battue de vent toujours et qui ne brille qu’effondrée

Plus que tout j’ai craint m’endurcir

 

Dès qu’un pas s’absentait dans l’appartement vide

J’avais peur de ne plus pleurer

Comme on sait si bien faire à l’âge où le visage n’avait pas

   décidé ses traits

Car je sens bien ne rien valoir qu’à l’endroit où je me déchire

Où cela me saigne je suis

 

Je n’ai vécu vraiment qu’au pilori de choses

Un réveil par exemple peuplé d’émois face aux paupières

   pleines de rêves

La pulpe des songes réfugiée dans les lèvres qui vous frôlent

   et s’en vont

Et quand la silhouette après tourne l’angle de la rue

Le premier matin de juillet soudain qui vous écorche

Vous explique ce qu’est vraiment la vie

 

Je n’ai jamais aimé que du temps suspendu

Aux corniches des toits que le soleil allume

Les cris des martinets comme un collier rompu

Tout ce qui ne vaut pas et personne n’en parle

Tant c’est sans prix sans poids sans importance aucune

Que les nuées plus ou moins peignées

 

Si je reviens faites de moi une page tournée

La lettre qu’on n’expédie pas

N’allez pas déranger un messie pour qu’on m’ôte mes bandelettes

Qui sait en sortant de sa nuit de quoi Lazare aurait rêvé

Être brin d’herbe terre sèche ou bien pierre aux margelles

   des puits

 

Je ne veux pas de la grandeur ni de la vision retrouvée

Et d’avance je vous préviens je ne tiendrai pas sur mes jambes

Je suis un miracle raté

 

Faites de moi moins qu’une moustache de chat

Dans la nuit qui frétille un trébuchet pour des flocons

 

faites de moi moins au moins que moi-même

Un cil qu’on chasse d’une joue

Ou au bord d’une bouche en M

Que je voudrais en minuscule.

 

Oivier Barbarant / ESSAIS DE VOIX MALGRÉ LE VENT
Photo : Olivier Barbarant ©Francine Bajande