« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CHEVAUX DE BOIS

 

 

 

Tournez, tournez, bons chevaux de bois,

Tournez cent tours, tournez mille tours,

Tournez souvent et tournez toujours,

Tournez, tournez au son des hautbois.

 

L’enfant tout rouge et la mère blanche,

Le gars en noir et la fille en rose,

L’une à la chose et l’autre à la pose,

Chacun se paie un sou de dimanche.

 

Tournez, tournez, chevaux de leur cœur,

Tandis qu’autour de tous vos tournois

Clignote l’œil du filou sournois,

Tournez au son du piston vainqueur !

 

C’est étonnant comme ça vous soûle

D’aller ainsi dans ce cirque bête ;

Bien dans le ventre et mal dans la tête,

Du mal en masse et du bien en foule.

 

Tournez au son de l’accordéon,

Du violon, du trombone fous,

Chevaux plus doux que des moutons, doux

Comme un peuple en révolution.

 

Le vent, fouettant la tente, les verres,

Les zincs et le drapeau tricolore,

Et les jupons, et que sais-je encore ?

Fait un fracas de cinq cents tonnerres.

 

Tournez, dadas, sans qu’il soit besoin

D’user jamais de nuls éperons

Pour commander à vos galops ronds ;

Tournez, tournez, sans espoir de foin.

 

Et dépêchez, chevaux de leur âme :

Déjà voici que sonne la soupe

La nuit qui tombe et chasse la troupe

De gais buveurs que leur soif affame.

 

Tournez, tournez ! Le ciel en velours

D’astres en or se vêt lentement.

L’église tinte un glas tristement.

Tournez au son joyeux des tambours !

Paul Verlaine / Appendice