L’ARMÉNIEN
Par domcorrieras, le vendredi 30 novembre 2018 - Poèmes & chansons - lien permanent
A Léon-Gabriel Gros.
J’aime le vieil arménien dans l’échoppe sombre
Où, seul, dès le matin il allume la lampe,
Jusqu’au soir ranimant sur des tapis rongés
Par d’innombrables pas et tant de balayages,
La rose de Chiraz que le temps a pâlie,
La gloire perse, le lion des Sassanides
Et la vivacité des cavaliers turquoise.
Parfois un homme de son âge entre et s’assied,
Prenant soin de ne pas lui masquer la lumière ;
Et comme il fait une visite d’amitié
Il garde son feutre un peu sale sur la tête.
Il parle en souriant ; sérieux l’autre écoute
Sans cesser d’assortir ses brins à ses couleurs,
Les yeux près de la trame et l’esprit envolé.
En passant, je les vois à travers la vitrine.
Ils parlent. De quoi parlent-ils ? — d’enfants malades,
Puis en allés, d’énormes femmes qui vieillissent,
Du temps dehors, du fisc et des bruits de la rue.
Mais ils savent, c’est un langage convenu.
En vérité, pour eux, il s’agit d’un village
Près d’Erzeroum, si loin à cause des montagnes,
D’un olivier ébranché par une colombe,
D’évêques barbus et chanteurs, des anciens Turcs,
D’histoires d’avant le déluge, et de massacre.
Le visiteur s’en va ; et lui attend la nuit
Pour fermer sa boutique où, dans l’ombre, s’endorment
Les roses, les lions et les guerriers de laine.
Louis Brauquier / Feux d’épaves / Peintures