« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA VIE EST UNE AVENTURE


 

I

 

La vie est une aventure

Qui part pour l’éternité.

Je compte les encablures

Qui trainent ma destinée.

 

Nous avons l’inquiétude

Du visage de la mer.

Une angoisse d’or dénude

Notre cœur. L’horizon clair

 

S’emplit de beaux équipages

Qui viennent pour débarquer

Et jettent sur le rivage

La merveille des dangers.

 

Villes sud-américaines,

Ports nègres du Sénégal,

Gao qui dort dans la plaine

Du fleuve équatorial,

 

Tandis que nous fumons la pipe

Sur le Vieux-Port chaud et doux,

De nostalgiques visites

Nous entretiennent de vous.

 

II

 

Le courrier du Japon sur la mer lisse et pâle,

Suit le remorqueur de Chambon.

Au bout du hangar 9, lents et lourds, font escale

Les chalands de charbon.

 

Les marteaux des calfats se mêlent aux murmures

De forge des chantiers.

Les vieux cargos montent au ciel sous la peinture

Leurs coques déchirées.

 

Le soleil du Zenith fait des signaux aux vitres

Des hublots ronds et des villas.

Des caisses de vermouth partent pour Pointe-à-Pitre.

Le rouge alcarraza

 

Aux persiennes du bar ouvert devant le môle

Suinte comme un fruit.

Dans le hamac de l’horizon aux lueurs fauves

L’Été bâille d’ennui.

 

Un mirage de feu sur la mer nue s’étale

Fantastique et chaud à crier,

Et le Nil bleu descend des régions centrales

En embrassant les palmeraies.

 

Le vent tiède et brûlé qui passe sur les sables,

Les appels des caravaniers,

Les discours et les cris des trafiquants arabes,

Les esclaves aux seins dorés,

 

A cause du récit fait par le capitaine

D’un trois-mâts négrier,

Montent, viennent vers nous en apportant l’haleine

Assoiffée du désert.

 

Et c’est un poison vert bu dans la calebasse

Que nous offre un grand sorcier noir,

Qui mimait au soleil sur les chaudes terrasses

Les danses ivres de l’espoir.

Louis Brauquier / Et l’au-delà de Suez