« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Chanson du siège de La Rochelle


 

 

 

 

Nos soldats à La Rochelle

N’ont ni vestes ni souliers

Que vouliez-vous donc la belle

Qu’est-ce donc que vous vouliez

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Dites-moi comment s’appelle

Ce jeu-là que vous jouiez

On dirait une marelle

Quel jeu quel jeu singulier

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

La guerre Mademoiselle

Est le jeu que vous disiez

Il se joue avec des ailes

Il se joue à cloche-pied

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Pour pousser la pierre au ciel

Il faut tenir le dernier

La guerre est un jeu cruel

Il s’agit de la gagner

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Les uns la font en dentelles

D’autres comme vous voyez

Quand la cause est immortelle

Faut-il que vous le soyez

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Les uns sont dans leurs tourelles

Sur leurs chars blindés d’acier

D’autres trouvent naturel

Le simple abri des osiers

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Si j’ai foi dans ma querelle

Je ne crains pas les Dorniers

Nous avons des pare-grêle

Et des képis de douaniers

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Mes pauvres enfants dit-elle

Mes beaux mes beaux canonniers

Elle en perd sa ritournelle

Si triste qu’elle s’assied

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Mon cœur mon cœur en chancelle

Je n’ai rien dans mon panier

Je n’ai rien dans ma nacelle

Je vais voir dans mon grenier

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Elle y trouve une crécelle

Un diplôme de pompier

Un sifflet de la ficelle

Et des roses en papier

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Des paroles éternelles

Un loto des coquetiers

Un vieux sachet de cannelle

Un carton des Trois-Quartiers

        Des canons

        Par centaines

Et des fusils par milliers

 

Que vouliez-vous donc la belle

Qu’est-ce donc que vous vouliez

Nos soldats à La Rochelle

N’ont ni vestes ni souliers

        DES CANONS

        PAR CENTAINES

ET DES FUSILS PAR MILLIERS

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