« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le dernier poète roman


 

 

 

 

Tandis que les vagues déferlent sur les plages

et qu’on entend gronder les canons au-delà des murs de la ville,

il voudrait avoir droit à une heure indulgente et fugace

au cœur d’un espace inviolable,

gardé par les ailes de la muse et les proverbes de la sibylle,

comme l’acteur qui bat en retraite vers les coulisses du théâtre.

 

Oubliés, les rêves d’une tête ornée de feuilles de laurier

ou les divans où s’allongent les dernières âmes épicuriennes,

dans un silence adverbial, où l’on n’entendrait plus rien,

lui qui souhaitait surtout, avec la même légèreté de la plume

qui frôle le papier, sauvegarder le tout dans le cadre de son art.

 

Purifiée, en l’humectant comme une hostie sous la langue,

chaque parole aurait l’autorité de la guirlande

ou du sceau royal

et il voulait accueillir en elle le monde à la manière d’une haie,

alors que tout devient païen et s’écroule autour de lui.

 

Dans ce travail de fauconnerie sur le temps jadis,

écrire lui rappelle les éraflures faites par le couteau

du prisonnier sur le mur de sa cellule, comptant les jours,

certain que le nœud coulant de la potence l’attend

ou le coup de feu tiré de face sur sa tête.

 

Puisqu’il sait que tout son œuvre était pour l’heure livrée

à la dispersion,

il désire sauver, consolatrice et satisfaisante,

une sienne parole sur la face d’une étoile future.

Paulo Teixeira / 18 + 1 poètes contemporains de langue portugaise
traductions d’Isabel Meyrelles, Annick Moreau & Michel Riaudel