« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

JE NE CONNAIS PAS CET INCONNU


 

 

 

 

Je ne connais pas cet inconnu

ni ses bonnes actions…

J’ai croisé un enterrement et j’ai marché

derrière le cercueil,

comme les autres, dodelinant de la tête

en signe de respect.

Je n’avais pas de raison de demander :

Qui est cet inconnu ?

Où a-t-il vécu, de quoi est-il mort ?

(Les causes des décès

sont multiples dont celle de la douleur de vivre.)

Je me suis demandé : Nous voit-il ? Voit-il plutôt

un néant et regrette-t-il l’épilogue ? Je savais

qu’il ne soulèverait pas le couvercle du cercueil

recouvert de lilas

pour faire ses adieux, nous remercier

et nous souffler la vérité.

(Qu’est la vérité ?) Peut-être replie-t-il son ombre,

comme nous en ce moment. Mais il est le seul

à ne pas  avoir pleuré ce matin,

ni vu la mort tournoyant au-dessus de nous

tel le faucon…

(Les vivants sont cousins germains de la mort

et les morts,

dormants paisibles et paisibles et paisibles.)

Je n’avais pas

de raison de demander : Qui est l’inconnu ?

Quel est son nom ?

(Pas d’éclair luisant dans son nom.)

Vingt personnes marchent derrière lui,

sans compter moi (moi et mon autre).

A la porte de l’église, je me suis égaré

dans mon cœur :

C’était peut-être un écrivain, un ouvrier,

un réfugié,

un voleur, un assassin… Quelle différence ?

Les morts sont égaux devant la mort… Muets

et peut-être ne rêvent-ils pas…

Et ces funérailles de l’inconnu pourraient être

les miennes,

mais un quelconque décret divin les remet

à plus tard

pour de multiples raisons

dont : un grave défaut dans le poème !

Mahmoud Darwich / Comme des fleurs d’amandier ou plus loin - III. MOI