« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ma mère

 

 

 

 

 

 

Ma mère

Que n’étais-tu

l’une de ces blanchisseuses

que je voyais, heureuses,

tremper leurs mains dans le Loing.

« As-tu bientôt fini

toi avec tes couches

de m’envoyer de la merde

dans mes mouchoirs

c’est que ça ne fera pas

son affaire à la patronne ! »

et les rires éclataient

et se perdaient

dans les roseaux.

La journée terminée

elles se relevaient

avec cette douleur aux reins

Et comme si leurs seins

S’étaient assez mirés dans la rivière

leur sueur était âcre

mais pas fétide et elles

sentaient bon le bois tiédi

du lavoir et le foin chaud

de leurs boîtes

 

Ma mère

Que n’étais-tu

l’une de ces maquerelles

cyniques

qui ont beaucoup roulé avec ou sans leurs hommes

de Buenos aires

à Cayenne

qui portent au cœur

un grand amour

noyé d’absinthe.

 

Ma mère

Que n’étais-tu

L’une de ces ouvrières

                fières

qui s’en vont

au travail

après avoir torché les gosses

et leur disent pressées une tendresse rude qui ne mâche

pas ses mots

lave ton cul mouche ton nez

propre à rien

avec celles-là tu vois

les airs de bonté de catéchisme et les mines de mijaurées

ça ne prendrait pas

 

« Ma pauvre femme »

Elle t’enverrait

d’une torgnole

rouler sur le trottoir

 

La religion et l’argent te permettaient une commode

situation

 

Une de ces filles qui violées et séduites tuent leur

nouveau-né ou bien le nouveau-né le déposent à l’assistance

avant de se jeter au canal

 

que n’étais-tu de celles qui s’en vont se jeter sous le 

train qui emmène leurs hommes à la mort

Mais non

tu étais là toute réticence et observance faites d’une

existence quiète et douillette et épinglant la mort de

tous les côtés

Redoutant la vie et souhaitant la maladie tu étais là

quiète et douillette

Du souvenir des morts

Devoirs envers les inférieurs et cette bonté apprise

avec des journées remplies de tous les devoirs « des

parents envers les enfants » « des supérieurs envers leurs

inférieurs » le pêcheur envers son créateur

Pleine de honte et de mystère, sombre, sans une lueur

de vie ou de joie vivant de rentes et de beaux sentiments

Laure (Colette Peignot) / Les Cris de Laure