Ma mère
Par domcorrieras, le samedi 5 mars 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Ma mère
Que n’étais-tu
l’une de ces blanchisseuses
que je voyais, heureuses,
tremper leurs mains dans le Loing.
« As-tu bientôt fini
toi avec tes couches
de m’envoyer de la merde
dans mes mouchoirs
c’est que ça ne fera pas
son affaire à la patronne ! »
et les rires éclataient
et se perdaient
dans les roseaux.
La journée terminée
elles se relevaient
avec cette douleur aux reins
Et comme si leurs seins
S’étaient assez mirés dans la rivière
leur sueur était âcre
mais pas fétide et elles
sentaient bon le bois tiédi
du lavoir et le foin chaud
de leurs boîtes
Ma mère
Que n’étais-tu
l’une de ces maquerelles
cyniques
qui ont beaucoup roulé avec ou sans leurs hommes
de Buenos aires
à Cayenne
qui portent au cœur
un grand amour
noyé d’absinthe.
Ma mère
Que n’étais-tu
L’une de ces ouvrières
fières
qui s’en vont
au travail
après avoir torché les gosses
et leur disent pressées une tendresse rude qui ne mâche
pas ses mots
lave ton cul mouche ton nez
propre à rien
avec celles-là tu vois
les airs de bonté de catéchisme et les mines de mijaurées
ça ne prendrait pas
« Ma pauvre femme »
Elle t’enverrait
d’une torgnole
rouler sur le trottoir
La religion et l’argent te permettaient une commode
situation
Une de ces filles qui violées et séduites tuent leur
nouveau-né ou bien le nouveau-né le déposent à l’assistance
avant de se jeter au canal
que n’étais-tu de celles qui s’en vont se jeter sous le
train qui emmène leurs hommes à la mort
Mais non
tu étais là toute réticence et observance faites d’une
existence quiète et douillette et épinglant la mort de
tous les côtés
Redoutant la vie et souhaitant la maladie tu étais là
quiète et douillette
Du souvenir des morts
Devoirs envers les inférieurs et cette bonté apprise
avec des journées remplies de tous les devoirs « des
parents envers les enfants » « des supérieurs envers leurs
inférieurs » le pêcheur envers son créateur
Pleine de honte et de mystère, sombre, sans une lueur
de vie ou de joie vivant de rentes et de beaux sentiments
Laure (Colette Peignot) / Les Cris de Laure