« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

BERCEUSE DU MORT POUR S’ENDORMIR

 

 

 

 

 

 

Le grand portrait pendu au mur,

solaire sous sa tente obscure,

 

dans les plis du fantôme blanc

qui me couve hausse son front lent.

 

O que pâle est mon front lunaire

sous les étoiles septénaires.

 

Le portrait de mon front mural

a sucé tout mon sang qui râle.

 

Le vampire hume dans mon cou

et mes artères des airs fous,

 

cependant que les araignées

trottent de mes mains décharnées

 

avec leurs toiles de velours,

bagues où s’empêtrent mes doigts lourds.

 

Qui donc a caché sous ma glotte

un pipeau moisi de hulotte,

 

m’empêchant d’ouïr les navettes

tisser de mes cierges squelettes ?

 

A leur pointe des papillons

ont des élytres de grillons

 

et s’en vont voler sur les fleurs

de la tenture de pâleurs.

 

Leurs ailes jaunes sur les fleurs

de la tenture de pâleurs.

 

Leurs ailes jaunes sont des tuiles

dont on bat les cartes mobiles;

 

et du plafond qui dort très calme,

du plafond plat tombent des larmes…

 

Puissent mes os rester intacts

dans leur fourreau de chair compacte,

 

rester intacts jusqu’à l’heure

où se débat le corps qui meurt,

 

où la peau fait comme une vitre

transparente à l’âme, et se vitre

 

l’œil de méduse à tentacule…

Des poulpes noirs autour circulent,

 

faisant des ronds avec leurs mains

pour figurer des lendemains.

 

Le cierge hausse son cœur qui pleure

de clepsydre me comptant l’heure;

 

cependant que des Absalons

indifférents des rideaux longs

 

larmoient les pieds mous dans le vague…

Voici qu’une petite vague

 

mousseuse aux oreilles de lièvre

ou d’escargot vient sur mes lèvres,

 

et que mes narines de vœux

ont respiré des pastels bleus.

 

De mes genoux que le poids gonfle

se dégrafent mes pesants ongles :

 

très doucement je me déplie

comme un habit dans mon grand lit,

 

dont on verrait flotter les manches

au vent des cloches des glas…

 

Je vois leurs cloches sous les nues

bâiller des langues inconnues…

 

Dans le ciel où le jour s’efface

Splendit voilée la Sainte-Face…

Alfred Jarry / Les Minutes de sable mémorial