« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Dérapages - (encore)

 

 

 

 

 

 

J'avais rencard 

avec Silence

au cimetière 

derrière l'église.

Oui mais Monsieur 

était en retard.

 

Quand il s'est pointé 

c'était trop tard.

L'église était tombée

et sur les tombes 

tous les crevards 

se gondolaient,

se fendaient la poire.

 

J'en ai chopé un 

par ses ossements

et je l'ai mangé 

bien tranquillement.

 

Maintenant 

j'attends la mort

au rayon frais 

du supermarché.

Le rôti de porc 

en promotion,

je vais pas me priver !

 

Si dans le cochon 

tout est bon,

dans la truie 

il y a du gâchis

mais de menues 

compensations.

 

Puisque Camarde

me fait faux-bond,

je me consolerai sur l'oreiller

du tout petit groin fumé

d'une Frida, gentille cochonne, 

sachant couiner.

 

Et tu verras 

comme qu'on s'aimera ! 

Du premier jusqu'au 

trente-six du mois,

tous les deux, sous la couette,  

toujours fourrés, roses à l'arête,

tendres gorets énamourés.

 

On se lâchera plus 

jamais la couenne

sauf le samedi matin

pour aller partager 

notre bonheur quotidien

et dire la bonne parole

main dans la main

à la laverie du coin.

 

On y poussera 

comme des pèlerins

notre carriole pleine de babioles 

avec cette belle enseigne toute lumineuse :

"Chez Paulo et Frida...

Ici le bonheur, ici l'amour,

si t'en as pas

viens nous demander.

on t’en donnera !"

 

Notre premier client,

je le vois déjà,

ce serait un p'tit gars

tout chétif, les yeux en bas

qui murmurerait dans un sanglot :

«Y’a mon papa 

qui me bat tout le temps.

Si vous pouviez me le zigouiller,

je serais bien content !»

 

Alors Frida 

poserait un doux bécot

sur la tête du petit loupiot.

Et moi, le prenant

dans mes bras, lui dirai : 

"T'es verni mon lapin,

depuis ce matin, 

t'es orphelin ! "

Dom Corrieras / Poèmes ressemelés - Maizières-lès-Metz- 2016