« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

(Santa Cruz — Pelotas)

 

 

 

1

 

 

 

on servait à manger dans des écuelles en fer

des enfants accouraient on croyait une école

ils vendaient du café des viandes et du riz

sur les talus auprès des rails des feux brûlaient

les femmes y cuisinaient le manger à nous vendre

 

des cochons maigres et bruns couraient entre les roues

quêtant du groin pour ramasser quelque déchet

les chiens se risquaient à grimper dans les voitures

on les chassait ils s’enfuyaient avec terreur

puis la loco soufflait le charroi s’ébranlait

et à travers la brousse on voyait les oiseaux

remonter et tourner au fond du ciel de plomb

 

alors le grand Teuton se remet à jurer

les deux tapettes en salopettes se recouchent

s’endorment en s’appuyant d’une tête sur l’autre

et les Indiennes arrimées aux paquets surveillent

si quelqu’un ne vient pas y voler leurs trésors

 

 

 

2

 

 

il y avait dans le wagon de jeunes Allemands

dont un très grand à longs cheveux qui criait merde

merde merde tout le temps pestait et jurait

contre le coup d’État et la lenteur du train

il bravait les soldats puis s’endormait d’un bloc

en prenant pour lui seul la place de trois autres

 

les Indiens au plancher accroupis contemplaient

très effrayés cette blondeur venue d’ailleurs

ils n’osaient pas lui demander de se bouger

un peu pour eux il ronflait comme un porc et tout

le train résonnait de ses ronflements parfois

en pleine nuit le convoi s’arrêtait des gens

grillaient des viandes au long des voies on vendait du 

café dans des bols en plastique et ceux qui 

s’étaient étendus sur les wagons de marchandises

transpercés par la pluie dans leur sommeil vibrant et noir

 

 

… / …

William Cliff / America / Cône Sud (extrait)
Photo Alice Piemme