« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Fantaisie inédite

 

 

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Quand le Printemps est de retour,

Les Bêtes du Jardin des Plantes,

Même entre espèces différentes,

Subissent l’effet de l’Amour.

 

Leur célibat obligatoire,

Alors que tout vibre ou tressaille,

Produit, entre becs et mâchoires,

De consternantes fiançailles.

 

L’ours, à son mât, dit : « — Ma chérie,

Je t’aime... Donne-moi tes seins ! »

Le mât répond : « — Je vous en prie,

Lâchez-moi ! Ciel ! À l’assassin ! »

 

— « C’est ton sourire que j’adore,

Dit à l’hyène le pélican. »

L’hyène jase : « — Jusques à quand

Me ferez-vous pleurer encore? »

 

Le zèbre, dévoreur d’espace,

Chante à la tortue : « — Ô ma reine !

Quitte ta lourde carapace,

Et carapatons par la plaine ! »

 

Le phoque, assure à la panthère

Qui le contemple en souriant :

« — Mon cher amour, quittons la terre,

File avec moi dans l’Océan. »

 

« — Je vous croyais née en Hongrie,

Dit à l’autruche le serpent. »

« — Je suis hongre, tout simplement ! »

« — Ça n’empêche les sentiments !

Mais quelle est donc cette Patrie ?

Et pourrait on savoir pourquoi

Vous êtes hongre

Comme un congre ?

Dit le serpent, langue fleurie

Avec assez d’esprit, ma foi !

 

« — Loin d’ici vivons notre idylle !

Pleure à l’ibis-grue, toute rosé,

Le sentimental crocodile. »

Et cette grue répond : « — Je n’ose ! »

 

Le lion gronde à la girafe :

« — Laisse-toi faire : tout ou rien !

Et que ma griffe te dégrafe.

Viens Poupoule, viens Poupoule, viens ! »

 

Et l’éléphant dit au boa : 

« — Je sais que tu me tromperas ! »

« — Moi ? dit le boa. Quel enfant !

Mais je suis un cœur sans défense ! »

« — All right alors ! dit l’éléphant. »

 

Et le condor à la gazelle

A gazouillé de sa voix rauque :

« — Seul avec vous, mademoiselle,

Je veux danser le « cake walke » !

 

L’hippopotame, vieux garçon,

Beugle d’effroyables chansons :

« — À moi les plaisirs, les ivresses,

Vivent les femmes, les caresses ! »

 

Point ne veux prolonger l’étude

Des monstrueuses turpitudes

De ce Jardin, en apparence

Innocent comme l’innocence.

 

Où dès qu’un rayon chaud vient luire.

Nous envoyons à l’aventure

S’ébattre, voire s’instruire,

Nos candides progénitures :

 

« Amour ! ce sont là de tes coups ! »

Mais quand le vice règne en maître,

Il est poignant de reconnaître

Que Monsieur Bérenger... s’en fout !

 

 

 











 

Jehan Rictus / Le Printemps au Jardin des Plantes