« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

FILLES PAUVRES


 

 

 

 

 

On coupe la tête d’une fille pauvre pour la greffer

sur une riche qui en a besoin pour survivre.

Ce genre de chose arrive sans arrêt aux filles pauvres

sans défense. Elles ont vendu le contenu de leur coffre

à trousseau sur eBay. La robe de mariée XXL

jamais portée est bradée car elle est noire.

Dans des bouis-bouis je les ai vues manger

des montagnes de patates.

Bien-sûr elles épousent parfois des types pauvres

qui les quittent pour bosser dans le pétrole

ou s’engagent dans l’armée.

J’en connais une qui a quatre enfants et s’occupe

de son mari légumineux rentré du souriant Irak

avec l’âge mental d’un bébé à grosses couches.

Les pauvres filles célibataires ont souvent

un club de bowling, elles boivent plein de bière

le mardi soir au Starlight Lanes.

Elles se savent presque invisibles,

ces femmes de ménage de motel, réceptionnistes,

serveuses, cuisinières de fast-food, nounous.

Elles sont pourtant joyeuses avec les amies, neveux et 

    nièces.

Quand je vais pêcher la truite, j’en vois une énorme

en maillot de bain bleu vif. Elle gare la vieille

Plymouth et descend deux kilomètres de rapides

sur une chambre à air de camion, sort de l’eau,

fait rouler sa bouée dans un pré, recommence.

Jim Harrison / Une heure de jour en moins