« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

BRANCHES BASSES


 

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I

 

 

Instant qui veut durer mais sans savoir

Tirer éternité des branches basses

Qui protègent la table où clairs et ombres

Jouent, sur ma page blanche de ce matin.

 

Autour de ces deux arbres d’abord l’herbe,

Puis la maison, puis le temps, puis demain

Pour ouvrir à l’oubli, qui déjà dissipe

Ces fruits d’hier tombés près de la table.

 

Là-bas est loin. Toutefois, c’est surtout

Ici et maintenant qui sont inaccessibles,

Plus simple est de rentrer dans l’avenir

 

Avec, pour tout à l’heure, quelque peu

De ce fruit mûr, par la grâce duquel

Du bleu se pend au vert dans la nuit de l’herbe.

 

II

 

 

Une seule prairie jusqu’à l’horizon,

Une seule pensée,

Ici nomme l’ailleurs par le vol des grues,

Je n’ai souci que de me souvenir

 

De l’à présent qui monte, c’est une vague,

De l’immense dehors réconcilié

Avec ce qui se fait et se défait

Ou se veut et déveut, dans la parole.

 

Vienne, petite fille en robe à carreaux,

La fin de tout, ce ne sera, riante,

Que le repli des mots sur la couleur.

 

De quoi s’envelopper dans la lumière

D’un jour d’été en pays étranger,

Serrant sur soi le vocable et son ombre.

Yves Bonnefoy / L’heure présente