« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

En fin de compte


 

 

 

 

J’ai coupé des foins, lavé des chaudières

Et j’ai dormi sur la paille pourrie.

La cour me condamna, des idiots me raillèrent,

Ma lumière a jailli des tréfonds d’une cave.

J’embrassai la fille qui fredonnait,

Cuisant pour autrui le pain croustillant,

On me donna des vêtements, moi je donnai

Aux ouvriers, aux paysans, des livres.

Je m’épris d’une fille riche,

Mais par sa classe elle me fut ravie,

Un jour sur deux il me fallut jeûner,

Mon estomac à jamais fut détruit ;

Ce monde me semblait, dans mon écœurement,

Un vaste estomac poisseux, coléreux,

Comme si la pensée, l’amour, les sentiments

Souffraient d’ulcères, et j’ai su que la guerre

N’était vraiment qu’une nausée sanglante.

Notre bouche s’emplissait d’un silence aigri.

Moi, du pied, je frappai mon cœur afin qu’il crie

Mon inlassable esprit refusait que je fusse

Un poète tramant de petites chansons

À gage, pour semer des rêves d’évasion.

On voulait acheter le lot de mes vengeances,

Un prêtre m’adjura : mon fils, fais pénitence !

Je savais que celui qui rentre à la maison

Les mains vides, rapporte une hache, des pierres,

Une pioche. Mon cœur fulgure comme un éclair

Et je sais qu’à la fin je peux être vainqueur :

Il me faut pourtant avoir cette audace

De rendre justice et prendre parti,

Regarder les durs souvenirs en face.

Mais qu’ai-je à faire avec des souvenirs ?

Je préfère poser le crayon misérable

Pour affiler plutôt le tranchant de la faux ;

Sur nos terres déjà mûrit le temps nouveau,

Silencieux, inexorable.

 

 

1926

Attila József / Poèmes
adaptation Charles Dobzynski