LE FLEUVE NÉ DES CORDILLÈRES
Par domcorrieras, le vendredi 13 mai 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Le fleuve ne sait pas qu’il s’appelle le fleuve.
Il est né là, les pierres le combattent
et tandis qu’il se livre
au premier mouvement
il apprend la musique et instaure l’écume.
Il n’est qu’un vague fil
né de la neige
parmi des circonstances
de roche verte et de haut plateau nu :
il n’est qu’un pauvre éclair
perdu
et dont la fulgurance
entame
la pierre planétaire,
mais
si fluet,
si obscur,
il semble
ne pas pouvoir
survivre ainsi tomber
chercher dans la dureté son destin,
alors il contourne la cime,
il aiguillonne
le flanc minéral du mont, ses abeilles volent
vers la prairie : la liberté.
Les plantes de la pierre
dressent contre lui leurs épingles
et la terre hostile le tord
pour en faire une flèche ou un fer à cheval
et le réduit au point de le rendre invisible,
mais il résiste et continue,
minuscule,
le voici qui franchit le seuil ferrugineux
de la nuit volcanique,
il fore, il ronge
et il surgit intact et dur comme une épée,
contre le quartz il est étoile,
puis se fait lent, ouvert à la fraîcheur,
devenu fleuve enfin, immuable et abondant.
Pablo Neruda / Mémorial de l’Ile Noire