« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ROGER

 

 






Lon­gue queue dorée et riche four­rure,

Roger est un angora blanc 

Que j’adore et qui fait sem­blant

De me payer d’ami­tié pure.

 

Je l’appelle; à peine il m’entend.

En boule roulé sur sa chaise, 

Ce matin, il n’est pas à l’aise, 

Et me regarde en m’évi­tant.

 

Il a com­mis quel­que sot­tise : 

Sans doute il a fait un lar­cin, 

Ou peut-être est-il l’assas­sin 

D’un jeune serin qu’il cour­tise !

 

Voyons, Mon­sieur, con­fes­sez-vous : 

Pour­quoi cette patte est-elle noi­râ­tre,

Et d’où vient la tache rou­geâ­tre

Qui salit votre poil si doux ?

 

J’ai trop souf­fert de vos capri­ces.

Vous méri­tez un châ­ti­ment, 

Et vous aurez cer­tai­ne­ment 

Le fouet pour tou­tes vos mali­ces.

 

Mais Roger se dresse indo­lent, 

Me jette un regard en cou­lisse, 

Tend son dos pour que je le lisse, 

Et se ral­longe som­no­lent.

 

Or qu’a fait ce flai­reur d’assiet­tes,

Ce sour­nois, ce fri­pon fieffé ?

Pour me déro­ber mon café, 

Il a mis ma vais­selle en miet­tes !

 

C’est trop fort, petit scé­lé­rat : 

Je lève la main. – Il dit grâce. 

Au lieu de le frap­per, je l’embrasse. 

– Il faut bien cor­ri­ger son chat !

 









 

Marie LeBlanc (1867-1915), poé­tesse de l’île Mau­rice.
Illustration : Le Soleil de Juillet, 1900 
Revue publiée par Mademoiselle Marie LeBlanc