La ligne droite
Par domcorrieras, le samedi 17 janvier 2015 - Poèmes & chansons - lien permanent
Ici tout se bouscule, le mauvais temps et les fourmis rouges, ceux qui parlent anglais et ceux qui passent leur tondeuse à gazon, les grèves et les affluents de la Garonne
À l’infini sur cette foutue ligne droite tout se bouscule vous dis-je
Ceux qui passent leur vie sur le macadam et les autres qui gravitent dans les baies du soleil
comme s’il n’y avait qu’eux sur Terre,
tout se bouscule,
les pas des passants pressés, le sable jaune, et même les souvenirs de cette femme aux yeux verts
Il y en a pour disparaître sans en avoir l’air
Faudrait faire comme eux, faudrait…
L’autre jour, lorsque j’ai rencontré la femme aux yeux verts, si beaux qu’au bout de la rue on ne voyait plus le soleil et que je lui ai dit « t’as de beaux yeux, tu sais, on pourrait faire un bout de chemin ensemble »
et qu’elle m’a répondu « je comprends que dalle à ce que tu racontes, et puis t’es trop vieux »
la roue s’est mise à tourner si vite que je n’ai plus réussi à la suivre, et aujourd’hui, même si je n’y pense plus, sûr que la roue tourne encore trop vite
faudrait pourtant qu’elle ralentisse, qu’elle essaie… faudrait
Avec le temps nous dit Léo Ferré tout s’en va
Maintenant, un siècle et demi après quand, tassé sur ma ligne droite, je pense à la femme aux yeux verts, ça n’a plus d’importance
Je me répète que j’aurais jamais su l’aimer, même à la Saint Valentin
que cela aurait été du cœur gâché, de l’amour pour rien, du mou que je donne aux chats
Pour m’endormir, je rabâche qu’elle ressemble à toutes celles que j’ai oubliées
Pas la peine de me créer des souvenirs malheureux, elle était trop belle et moi je suis trop vieux, et puis les souvenirs malheureux comme beaucoup de choses en ce monde qui va vite
C’est plus d’époque…
Ils étaient plutôt chouettes, avant, les souvenirs, lorsqu’une femme me disait « ne t ‘attardes pas trop au café, avec les croissants. Couvre-toi, il fait froid ce soir »
Il est vrai que la vie, non plus, n’est plus ce qu’elle était
…/….
Paul Mari / La ligne droite (extrait)