Les grands micocouliers pleurèrent
Par domcorrieras, le dimanche 10 mars 2024 - Poèmes & chansons - lien permanent
L'assemblée
Les grands micocouliers pleurèrent ;
Affligés, s'enfermèrent
Dans leurs ruches les abeilles, oubliant le pacage
Plein de tithymales et de sarriettes.
« Avez-vous point vu où est Mireille ? »
Demandaient les nymphéas
Aux gentils alcyons bleus adonnés au vivier.
Le vieux Ramon et son épouse,
Tous deux gonflés de larmes,
Ensemble, la mort au cœur, assis dans le mas,
Mûrissent leur douleur : « Certes,
Il faut avoir l'âme en délire !…
O malheureuse ! ô écervelée !
De la folle jeunesse, ô terrible et lourde chute !
Notre Mireille belle, ô équipée
O pleurs ! avec le dernier des truands
S'est enlevée, enlevée avec un bohème !…
Qui nous dira, dévergondée,
Le lieu, la caverne reculée
Où le larron t'a conduite ?…
Et ils branlaient leurs fronts orageux.
Avec l'ânesse et les mannes de sparterie
Vint l'échanson, selon l'usage ;
Et, debout sur le seuil : « Bonjour ! Je venais quérir,
Maître, les œufs et le grand-boire.
— Retourne-toi, malédiction !
Cria le vieillard, car, tel qu'un chêne-liège,
Sans elle, ores il me semble qu'on m'a arraché l'écorce !
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L'assemblado
Li grand falabreguié plourèron ;
Adoulentido, s'embarrèron
Dins si brusc lis abiho, óublidant lou pasquié
Plen de lachusclo e de sadrèio.
« Avès rèn vist mouille es Mirèio ? »
Ié demandavon li ninfèio,
I gèntis amo bluio adounado au pesquié.
Lou vièi Ramoun emé sa femo,
Tóuti dous gounfle de lagremo,
Ensèn, la mort au cot, asseta dins lu mas,
Amadouron soun coudoun : « Certo,
Fau agué l'amo escalaberto !…
O malurouso ! o disaverto !
De la folo jouinesso o terrible estramas !
Nostro Mirèio bello, o gafo !
O plour ! mé lou darrié di piafo
S'es rauado, rauado em' unn abóu miani !…
Quau nous dira, desbardanado
Ounte lou laire t'a menado ?… »
E brandavon ensèn si front achavani.
Emé la saumo e lis ensàrri
Venguè lou chourlo, à l'ourdinàri ;
E dre sus lou lindau : « Bon-jour ! Veniéu verca,
Mestre, lis e lou grand-béure.
— Entourno-te, maladiciéure !
Cridè lou vièi, que, tau qu'un siéure,
Me sèmblo que sènso elo aro sièu desrusca !
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Frédéric Mistral / Mireille Mirèio (Chant Neuvième, extrait)