FALAISE
Par domcorrieras, le mercredi 23 février 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
Un son de buccins monte
du versant qui s'éboule,
il descend ver la mer
qui frissonne et pour l'accueillir s'ouvre.
Dans la gorge éventée s'enfonce
avec les ombres la parole
que dissout la terre sur les récifs ;
le monde perd la mémoire et peut renaître.
Avec les barques de l'aube
déploie la lumière ses grandes voiles
et trouve place dans le cœur l'espérance.
Mais le matin s'en et allé,
la clarté fuit et se rassemble
sur les hauteurs et les feuillages,
tout est plus ramassé, plus proche,
comme vu au travers d'un chas ;
désormais la fin est certaine
et si même le vent se tait
on entend la lime qui scie
assidûment la chaîne qui nous lie.
Comme un éboulis musical
s'éloigne le son, il dévale.
Avec lui se dispersent les voix
réunies aux volutes
arides des crevasses ;
le gémissement des pentes,
entre les vignes que l'entrelacs
des racines enserre.
La falaise n'a plus de sentes,
les mains s'agrippet aux branches
des pins nains ; puis tremble
et décroît la lueur du jour ;
un ordre descend qui dégage
de leurs limites
les choses qui ne demandent
qu'à durer désormais, à persister,
avec tout leur content de labeurs infini ;
un écroulement de pierraille qui du ciel
s'abîme sur les rives…
Dans le soir qui s'étend à peine, arrive
un hurlement de cor, il se disloque.
Eugenio Montale / Os de seiche
traduit de l'italien par Patrice Angelini
Illustration : portrait d'Eugenio Montale par Alex Raso