« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

FALAISE


 

 

Un son de buccins monte

du versant qui s'éboule,

il descend ver la mer

qui frissonne et pour l'accueillir s'ouvre.

Dans la gorge éventée s'enfonce

avec les ombres la parole

que dissout la terre sur les récifs ;

le monde perd la mémoire et peut renaître.

Avec les barques de l'aube

déploie la lumière ses grandes voiles

et trouve place dans le cœur l'espérance.

Mais le matin s'en et allé,

la clarté fuit et se rassemble

sur les hauteurs et les feuillages,

tout est plus ramassé, plus proche,

comme vu au travers d'un chas ;

désormais la fin est certaine

et si même le vent se tait

on entend la lime qui scie

assidûment la chaîne qui nous lie.

 

Comme un éboulis musical

s'éloigne le son, il dévale.

Avec lui se dispersent les voix

réunies aux volutes

arides des crevasses ;

le gémissement des pentes,

entre les vignes que l'entrelacs

des racines enserre.

La falaise n'a plus de sentes,

les mains s'agrippet aux branches

des pins nains ; puis tremble

et décroît la lueur du jour ;

un ordre descend qui dégage

de leurs limites

les choses qui ne demandent

qu'à durer désormais, à persister,

avec tout leur content de labeurs infini ;

un écroulement de pierraille qui du ciel

s'abîme sur les rives…

 

Dans le soir qui s'étend à peine, arrive

un hurlement de cor, il se disloque.

Eugenio Montale / Os de seiche
traduit de l'italien par Patrice Angelini
Illustration : portrait d'Eugenio Montale par Alex Raso