« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

APAISEMENT


 

 

Vivons l'âme fermée au tumulte des joies,

Et les pas retenus loin des bruyantes voies

La solitude est bonne et le silence est fier

Aux cœurs encor meurtris des souffrances d'hier ;

Il faut aux champs brûlés par d'ardentes rafales

Le souffle inaltéré des fraîcheurs matinales.

 

Ce n'est pas dans la foule et le bruit qu'il viendra

Le sympathique esprit qui nous consolera.

A l'heure la plus morne et la plus désolée,

Nous entendrons sa voix si longtemps appelée ;

Nous sentirons sur nous sa pitié s'attendrir,

Et nous vivrons pour lui, nous qui voulions mourir !

Doux et réparateur, il n'a rien qui nous froisse ;

Il a connu l'amour et subi son angoisse ;

Il comprend le mystère et la beauté des pleurs,

Et vers nous l'a poussé le courant des douleurs ;

Il sait la vie : il sait que beaucoup nous trahissent,

Que les plus chauds rayons se glacent et pâlissent,

Que sous d'altiers dehors se cachent des cœurs bas,

Qu'il faut n'aimer que ceux qui ne se masquent pas,

Et, tout saignants encor de passions sincères,

Avec simplicité souffrent de leurs misères.

On les devine : ils ont quelque chose d'inné

Dont leur front abattu reste encor couronné.

Et l'on sent, au sommet de ces hautes natures,

Comme à celui des monts, passer les brises pures !

 

Entre de pareils cœurs invincibles est l'attrait ;

Ils se sont mesurés et confondus d'un trait.

Et sur l'apaisement de tout ce qui les blesse,

Forte et consolatrice a germé leur tendresse.

Oh ! ce n'est plus l'amour, mais c'est mieux que l'amour !

Vers les désirs troublés c'est un calme retour,

C'est l'ombre douce après les ardeurs de la route,

C'est la sécurité remontant sur le doute,

C'est l'écho de l'esprit, de l'âme et de la voix ;

Émus et confiants on se dit à la fois :

« Les voilà, les flots vrais de la source cherchée ;

« Pourquoi donc si longtemps nous fut-elle cachée ?

« Pourquoi s'être trouvés et reconnus si tard ?

« Que n'ai-je mis ma main dans la vôtre au départ ! »

Louise Colet / Ce qu'on rêve en aimant