« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ZONES


 

 

Périphéries. Banlieues. Vagues terrains où l'on se perdrait si

les balises, les tracés encore déchiffrables, n'existaient.

Découpes pratiques de ce qui demeure du premier terrain

emprunté, ou plutôt, sur le premier terrain.

 

Traces donc, sur la peau craquelée où sont imprimés les poin-

tillés d'une déchirure géo-anatomique, accompagnés de leurs

repères numérotés scientifiquement.

 

De la tête aux pieds, suivez l'Homme. Suivez le corps. Tout ce

qui peut s'y coller, attacher, planter, regarder, ajouter, peser

place par place dans les quartiers investis de la prononciation

automatique.

 

Frontières des articulations. Atlas des gestes sans trajectoire,

comme indications mortuaires des anciens lieux du vivant,

fonctionnant sur une perte de corps. Sol nivelé; sorte de

désert piqué de petites stèles noires.

 

Il y avait là, dit-on, une tête, une bouche, des seins. Il y avait

là des sexes et des jambes. A leur place, dans l'arpentage

méthodique, subsistent les numéros d'ordre du balisage d'un

autre relief et de ses parcelles.

 

Déjà, et comme suaire, ou couverture (de lit, de tombe, de

livre, de tractations), la tessiture de ces nouveaux signes sur-

gissant de cette étendue, exposée comme nomenclature histo-

rique.

 

Là était un cou ? Voici des colliers divers. Là était un ventre ?

Voici les plaques de ventre. Batterie des outils par laquelle

tente de se signaler encore un corps définitivement absent.

Disparition du support à l'intérieur du harnachement :

restent les indications, les modes d'assemblage des panoplies.

Corps

invisible dont l'itinéraire, haché par les instruments, occulté

par les équipements, fauché par les accessoires, dont le par-

cours éperdu peut se lire sur une double piste : celle du Cata-

logue ramassé et celle du chiffre additionné.

 

Matière tassée, dont les restes sont à reconnaître sous les longs

listings des morgues chiffrées.

Jean-Jacques Viton / TERMINAL - Epopée