« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'AUBE SANGLANTE



 

 

C'est un noir pays plat foré de puits, qui fume

Par ses lourds hauts fourneaux, par ses larges corons,

Ses trains dont les sifflets vrillent de trous la brume

Et cassent le ciel bas que l'air houilleux corrompt.

 

Les murs d'usine seuls font l'ombre dans la plaine.

Rien ne se reflète au flot huileux des canaux,

Et les sombres mineurs que descendent les bennes

Pour astres n'ont jamais connu que les fanaux.

 

Leurs yeux à peine ont vu dans un brouillard l'aurore,

Feu de forge rougir le mur de l'horizon.

L'herbe au poil hérissé, noir, où ne vient éclore

Nulle fleur, meurt au sol, sous un ciel sans saison.

 

Aveugles, sous la terre, au fond des galeries,

Par les fissures du roc où fuit le filon,

Ils plongent, rampent, nus, saignant, les chairs meurtries,

Cyclopes éternels, la lampe rouge au front.

 

Seul l'écho mat que fait dans l'air rare la pioche

Comme un tic-tac d'horloge au loin coupe la nuit,

Et le labeur plus long se compte sous la roche

Par l'eau qui tombe goutte à goutte au fond du puits.

 

Ah ! le travail là-haut souriant et superbe

Sous le baiser puissant et libre du soleil,

Et l'amoncellement croulant du blé par gerbes

Sous le paisible effort des bras nus et vermeils !

 

Oh ! la fraîcheur glissante et la courbe du fleuve

Offrant au ciel son grand miroir étincelant,

Qui reflète, ébloui, la beauté toujours neuve

De la rive immobile et de l'arbre tremblant !

 

Seul le grisou parfois réalise leur rêve,

Quand le sol s'ouvre au loin, profond comme les cieux,

Et sous la voûte, dans une vision brève,

La mort allume enfin un soleil dans leurs yeux.

Charles Dornier / L'Ombre de l'homme.