LES ROSES
Par domcorrieras, le lundi 11 octobre 2021 - Poèmes & chansons - lien permanent
Si deux cœurs me donnaient à faire un paradis
Pour abriter leurs amours closes,
Égrenant le printemps au-dessus de ses murs,
Comme on secoue un arbre où pendent des fruits mûrs,
Je ne l'emplirais que de Roses,
De Roses pêle-mêle, en folle floraison,
Toujours fraîches, jamais cueillies,
De Roses qu'on dirait des reines en langueur,
Vibrantes d'incarnat, des parfums plein le cœur,
Belles Roses enorgueillies,
De Roses au profil coquettement brodé,
La taille dentelée et fine,
Toujours propres comme au sortir d'un bain vermeil,
Avec mignarderie effilant au soleil
Leurs plis légers de mousseline,
De Roses dont la tige enveloppe humblement
Sa nudité d'un peu de mousse,
De ces Roses qui n'ont jamais l'air de poser,
Si bien qu'on n'ose pas, de peur de les briser,
En respirer l'haleine douce,
De Roses rouges comme un astre à son lever,
Rouges comme une grappe mûre,
Ou comme une pudeur, un visage empourpré
De vierge sur le seuil d'un amour préparé,
Ou rouges comme une blessure,
De Roses blanches comme une coupe de lait,
Comme des houppes à la neige,
De Roses pâles comme un linceul d'enfant mort,
Ou comme un front de sœur où le passé s'endort
Parmi les regrets en cortège,
De Roses sans couleur, sans reflet captivant,
Très indolentes dans leurs poses,
Ayant perdu leur teinte à force d'embaumer,
Comme une femme perd jusqu'au désir d'aimer,
Et de Roses simplement roses,
Toutes versant l'odeur de leur gorge à plein flot,
Une odeur profonde où voltige
Le parfum maladif multiplié dans l'air,
Où le parfum maladif multiplié dans l'air,
Ou le parfum subtil qui pénètre la chair,
Comme prise dans un vertige,
Et toutes à l'envi, grisant le paradis,
Abri touffu des amours closes,
Où les amants mêlés et lassés de souffrir,
Viendraient paisiblement se coucher, pour mourir
Au souffle de toutes les Roses !
Jules Renard