« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Voici tant d'années, Gérard de Nerval


 

 

 

     Voici tant d'année ! Gérard de Nerval partit dans la nuit pour aller revoir une figure de vierge…

     Hier soir chantaient nos voitures le long du fleuve tout fêté de lumière..

     Départs ! Vos chants et vos odeurs. Huées et plaintes des trains qui rêvent. Un couple tout noir sur un quai sonore..

     On accueille un train de banlieue rempli de fanfares..

 

     Et le Train pour nous refait son histoire..

 

     Il crie les fanaux qui ont l'air si triste..

     Il crie les paysages traversés à tour de bras. Des gouffres pris de biais dans un grand bruit frais sur des ponts de fer qui grincent des dents… Une halte encore où sonnent des voix lourdes, où tout le silence assiège les vitres.. Mais un autre train perce en cris noirs…

     Une aube au cœur serré se lève.

     La nuit a séché les pleurs de la veille et consacré les solitudes..

     Sous le ciel pommelé que traverse un ange, de petites maisons isolées dorment encore, affinées par le crépuscule matinal..

     Un coq de Caldecott crache un coquelicot !..

     Des laboureurs défont leurs gestes de travail, et la main sur les yeux, regardent.. Des bêtes au pacage, tournent lentement, d'un mouvement de rite, d'un air sacré..

     Les rivières sont encore toutes bleues d'ombre avec une

écharpe de brume. La fumée du train s'embuche dans les bois humides comme une poursuite de fantômes..

     Un village avec les bâches d'une fête qui s'installe, s'envole..

     Des choux bleus tournent leur bonne face de Quasimodos saouls de lune..

     On brûle de petites gares naïves avec leur intimité pâlotte, l'horloge au centre, les employés qui sont du pays, leurs paniers pleins de volaille crieuse et les trains d'intérêt local qui attendent…

 

     Et puis, plus tard — les maisons d'une vieille ville rouge et noire jouent à saute-mouton dans les rochers. Les voilà qui font la haie et qui regardent par-dessus le fleuve

     parce que j'embrasse ton doux visage dans le médaillon de la vitre…

Léon-Paul Fargue / Poèmes
Photo : Léon-Paul Fargue par Brassaï