« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

HYMNE


 

 

Amour qui voles dans les nues,

Baisers blancs, fuyant sur l'azur,

Et qui palpites dans les mues,

Au nid sourd des forêts émues ;

 

Qui cours aux fentes des vieux murs,

Dans la mer qui de joie écume,

Au flanc des navires, et sur

Les grandes voiles de lin pur .

 

Amour sommeillant sur la plume

Des aigles et des traversins,

Que clame la sibylle à Cume,

Amour qui chantes sur l'enclume .

 

Amour qui rêves sur les seins

De Lucrèce et de Messaline,

Noir dans les yeux des assassins,

Rouge aux lèvres des spadassins ;

 

Amour riant à la babine

Des dogues noirs et des taureaux,

Au bout de la patte féline

Et de la rime féminine ;

 

Amour qu'on noie au fond des brocs

Ou qu'on reporte sur la lune,

Cher aux galons des caporaux,

Doux aux guenilles des marauds ;

 

Aveugle qui suit la fortune,

Menteur naïf dont les leçons

Enflamment, dans l'ombre opportune,

L'oreille rose de la brune ;

 

Amour bu par les nourrissons

Aux boutons sombres des Normandes ;

Amour des ducs et des maçons,

Vieil amour des jeunes chansons ;

 

Amour qui pleures sur tes brandes

Avec l'angelus du matin,

Sur les steppes et sur les landes

Et sur les polders des Hollandes ;

 

Amour qui voles du hautain

Et froid sourire des poètes

Aux yeux des filles dont le teint

Semble de fleur et de satin ;

 

Qui vas, sous le ciel des prophètes,

Du chêne biblique au palmier,

De la reine aux anachorètes,

Du coeur de l'homme au coeur des bêtes ;

 

De la tourterelle au ramier,

Du valet à la demoiselle,

Des doigts du chimiste à l'herbier,

De la prière au bénitier ;

 

Du prêtre à l'hérétique belle,

D'Abel à Caïn réprouvé.;

Amour, tu mêles sous ton aile

Toute la vie universelle !

 

Mais, ô vous qui m'avez trouvé,

Moi, pauvre pécheur que Dieu pousse,

Diseur de Pater et d'Ave,

Sans oreiller que le pavé,

 

Votre présence me soit douce.

Germain Nouveau / Poésies d'Humilis et vers inédits