« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

DÉCOUVERTE


 

 

J'étais enfant. J'aimais les grands combats,

Les Chevaliers et leur pesante armure,

Et tous les preux qui tombèrent là-bas

Pour racheter la Sainte Sépulture.

 

L'Anglais Richard faisait battre mon cœur

Et je l'aimais, quand après ses conquêtes

Il revenait, et que son bras vainqueur

Avait coupé tout un collier de têtes.

 

D'une Beauté je prenais les couleurs,

Une baguette était mon cimeterre;

Puis je partais à la guerre des fleurs

Et des bourgeons dont je jonchais la terre.

 

Je possédais au vent libre des cieux

Un banc de mousse où s'élevait mon trône;

Je méprisais les rois ambitieux,

De rameaux verts j'avais fait ma couronne.

 

J'étais heureux et ravi. Mais un jour

Je vis venir une jeune compagne.

J'offris mon cœur, mon royaume et ma cour,

Et les châteaux que j'avais en Espagne.

 

Elle s'assit sous les marronniers verts;

Or je crus voir, tant je la trouvais belle,

Dans ses yeux bleus comme un autre univers,

Et je restai tout songeur auprès d'elle.

 

Pourquoi laisser mon rêve et ma gaité

En regardant cette fillette blonde ?

Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté

Quand, dans la brume, il entrevit un monde ?

Guy de Maupassant / Des vers - poésies inédites
Illustration : Maupassant d'après Melandri © BNF Gallica