« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

DEVINETTE DE LA TORTUE


 

 

— Oui, l'enfant a pris une bête morte

L'instrument grisant de sa volupté,

Et sous son abri au-dessous des roches,

À travers le sol il le fait chanter.

 

— Mais comment peux-tu me forcer à croire

Que d'un corps défunt un chant peut monter ?

— La bête pourtant, il faut bien m'en croire,

Chante dans sa mort, en vie se taisait.

 

— Quelle était sa forme ? Allongée ou courte ?

Avait-elle aussi l'échine bombée ?

— Comme une marmite, elle était fort courte,

Toute ramassée, la peau bigarrée.

 

— Est-ce qu'à un chat la bête ressemble ?

Ou peut-être alors à un léopard ?

— Oh ! non, elle en est tout à fait loin, car

Elle est toute ronde et courte de jambes.

 

— Et serait-ce donc quelque calamare

Ou peut-être bien un genre de crabe ?

— Cherche encore ailleurs si tu la compares :

À rien de cela elle n'est semblable.

 

— Je parie qu'elle est peut-être l'émule

De quelque escargot des monts Siciliens ?

— Allons, cette fois, je crois que tu brûles :

À cet animal elle ressemble bien.

 

— Mais dis-moi quelle est la partie qui parle :

Est-ce le dedans ? Est-ce le dehors ?

— C'est, bien bosselée, c'est sa propre écaille,

À l'huitre écaillée ressemblant encor.

 

— Quel est donc son nom ? Dis-le nous et parle

Si tu sais encore quelque chose en plus.

— L'enfant a nommé la bête « tortue »

Et « lyre » la peau de son corps qui parle.

 

Des chagrins à lui seul ce jouet le console,

Le chant qui l'accompagne est sa joie la plus douce,

Et le bruit de la lyre hors de ses sens le pousse.

Et voici la façon dont un enfant a su

À une bête morte accorder la parole.

Sophocle / Anthologie de la poésie grecque
traduction Robert Brasillach