« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’empereur des vaches


 

 

en un éclair ce moi que je revois

quatre-vingt-seize centimètres

de haut les doigts dans le nez

sous le préau de la ferme

l’odeur de paille de bouses

brumes chaudes dans l’étable

qui picotent mon jeune sang

genoux écorchés cœur vaillant

j’ai le museau rêvasseur

canif rouillé dans la poche

chante chante à tue-tête

rengaine absurde idiote

qui radote parlote rigolote où

gigotent les queues de vaches

saute donc fume de l’ail

foutue chanson piétinée

limaces à coups de talons

luzerne toute mouillée

où dandinent les canards

La Noiraude devant et la Têtue

et les quarante ruminantes

en route vers la mare

mamelles ballottantes

qu’on dirait les cloches

pour l’angélus ou à vêpres

ô belles esclaves entravées

qu’on mènera à la mangeoire

je sais tirer le lait goûteux

bouillonnant de vos pis

tentaculaires et vos gros yeux

d’amour luisent tendres tout doux

vers ma baguette houssine de buis

car pastoureau je suis mais aussi

l’Empereur des vaches savez-vous

du haut de mes quatre-vingt-seize

centimètres sans les godasses

voici notre hymne ma chanson :

 

Je m’lève de bon matin

Quand le soleil se couche.

J’entends signaler !

Mes deux bœufs dans les poches

Ma charrue sur le dos

Je m’en vais labourer

Mon champ qui n’a pas d’terre…

J’entends signaler !

 

 

au bois mort aux sarments

aux pintades aux oies aux oisillons

à toi goret farfouillant du groin

dans ton palais de puanteurs

vois mes phénoménales batailles

livrées à ces pleutres ajoncs

à toi Jésus pendu dans la souillarde

à toi brave Général Jambon

je lève bien haut mon lance-pierre

Austerlitz sur le tas de fumier

bandes de poules rousses cocottes

du haut de ces meules de foin

des lignées de ploucs vous contemplent !

han ! han ! s’abattent nos fléaux

faites voler blés fèves et haricots

du fenil à la cendre de lessiveuse

rêvons galoche colchique et pissenlit

debout marmaille dans le noir secret

du chais aux terreurs de souffre

braille braillera mon tout petiot

demain tu pisseras moins

mais toi le paon surveille tes arrières

j’ai des boulons dans ma culotte

et toi le cheval qui piétine

ton poitrail de bronze fumant

dans les brancards du tombereau

fous-lui donc un coup de sabot

à ce cagneux ce bâtard de clébard

affalé pionçant dans la poussière

sa chaîne à l’anneau rivée

écoute couiner la meule de pierre

le filet d’eau sur le tranchant de la faux

regarde dans l’orage qui vient

l’épervier fendant le ciel

un coup de fusil aura suffit

à rédiger son épitaphe

chanter gueuler à tue-tête

aux amanites tue-mouche

aux grands ormes penchés

au chaudron noir de cheminée

petit tambour du pont d’Arcole

Empereur des vaches ritournelle

mon chant mon hymne je proclame :

 

Je m’lève de bon matin

Quand le soleil se couche.

J’entends signaler !

Dom Corrieras - Maizières-lès-Metz, février 2020