L’empereur des vaches
Par domcorrieras, le mercredi 19 février 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
en un éclair ce moi que je revois
quatre-vingt-seize centimètres
de haut les doigts dans le nez
sous le préau de la ferme
l’odeur de paille de bouses
brumes chaudes dans l’étable
qui picotent mon jeune sang
genoux écorchés cœur vaillant
j’ai le museau rêvasseur
canif rouillé dans la poche
chante chante à tue-tête
rengaine absurde idiote
qui radote parlote rigolote où
gigotent les queues de vaches
saute donc fume de l’ail
foutue chanson piétinée
limaces à coups de talons
luzerne toute mouillée
où dandinent les canards
La Noiraude devant et la Têtue
et les quarante ruminantes
en route vers la mare
mamelles ballottantes
qu’on dirait les cloches
pour l’angélus ou à vêpres
ô belles esclaves entravées
qu’on mènera à la mangeoire
je sais tirer le lait goûteux
bouillonnant de vos pis
tentaculaires et vos gros yeux
d’amour luisent tendres tout doux
vers ma baguette houssine de buis
car pastoureau je suis mais aussi
l’Empereur des vaches savez-vous
du haut de mes quatre-vingt-seize
centimètres sans les godasses
voici notre hymne ma chanson :
Je m’lève de bon matin
Quand le soleil se couche.
J’entends signaler !
Mes deux bœufs dans les poches
Ma charrue sur le dos
Je m’en vais labourer
Mon champ qui n’a pas d’terre…
J’entends signaler !
au bois mort aux sarments
aux pintades aux oies aux oisillons
à toi goret farfouillant du groin
dans ton palais de puanteurs
vois mes phénoménales batailles
livrées à ces pleutres ajoncs
à toi Jésus pendu dans la souillarde
à toi brave Général Jambon
je lève bien haut mon lance-pierre
Austerlitz sur le tas de fumier
bandes de poules rousses cocottes
du haut de ces meules de foin
des lignées de ploucs vous contemplent !
han ! han ! s’abattent nos fléaux
faites voler blés fèves et haricots
du fenil à la cendre de lessiveuse
rêvons galoche colchique et pissenlit
debout marmaille dans le noir secret
du chais aux terreurs de souffre
braille braillera mon tout petiot
demain tu pisseras moins
mais toi le paon surveille tes arrières
j’ai des boulons dans ma culotte
et toi le cheval qui piétine
ton poitrail de bronze fumant
dans les brancards du tombereau
fous-lui donc un coup de sabot
à ce cagneux ce bâtard de clébard
affalé pionçant dans la poussière
sa chaîne à l’anneau rivée
écoute couiner la meule de pierre
le filet d’eau sur le tranchant de la faux
regarde dans l’orage qui vient
l’épervier fendant le ciel
un coup de fusil aura suffit
à rédiger son épitaphe
chanter gueuler à tue-tête
aux amanites tue-mouche
aux grands ormes penchés
au chaudron noir de cheminée
petit tambour du pont d’Arcole
Empereur des vaches ritournelle
mon chant mon hymne je proclame :
Je m’lève de bon matin
Quand le soleil se couche.
J’entends signaler !
Dom Corrieras - Maizières-lès-Metz, février 2020