« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À UN ORME DESSÉCHÉ


 

 

Sur le vieil orme, fendu par la foudre,

pourri en son milieu,

avec les pluies d'avril et le soleil de mai,

ont poussé quelques feuilles vertes.

 

L'orme centenaire sur la colline

que baigne le Douro ! Une mousse jaunâtre

salit l'écorce blanchâtre

du tronc vermoulu et poussiéreux.

 

Il ne doit pas comme les peupliers chantant

qui gardent le chemin et le rivage

être habité de rossignols gris.

 

Une armée de fourmis en file

grimpe sur lui ; dans ses entrailles,

les araignées tissent leurs toiles grises.

 

Avant que de sa hache, orme du Douro,

le bûcheron ne t'abatte, et avant que le charpentier

ne te transforme en sommier de cloche,

en timon de chariot ou en joug de charrette,

avant que tu ne brûles tout rouge demain

dans l'âtre d'une misérable chaumière

sur le bord du chemin ;

avant que la tempête ne te déracine

que ne te brise le souffle des sierras blanches,

et avant que le fleuve à la mer ne t'emporte

par les vallées et les escarpements

orme, je veux noter sur mon carnet

la grâce de ta branche reverdie.

 

Mon cœur attend

aussi, vers la lumière et vers la vie,

un nouveau miracle de printemps.

 

 

Soria, 1012

 

Antonio Machado / Champs de Castille
traduit de l'espagnol par Sylvie Léger et Bernard Sesé