« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

XXXIX COPLAS ÉLÉGIAQUES


 

 

Malheur à celui qui arrive assoiffé

afin de voir l'eau s'écouler,

et qui dit : la soif que je sens

quand je bois n'est pas étanchée !

 

Malheur à celui qui boit et, sa soif

étanchée, méprise la vie :

monnaie au joueur prêtée,

qu'elle soit rendue au hasard !

 

Malheur au naïf qui soupire

sous l'ordre souverain,

et à celui qui songe, la lyre

pythagoricienne à la main.

 

Malheur au noble pèlerin

qui s'arrête pour méditer,

après un long chemin

dans l'horreur d'arriver !

 

Malheur à la mélancolie

qui se console en pleurant,

et de la mélomanie

d'un cœur d'opérette !

 

Malheur à notre rossignol,

si dans une nuit sereine

il guérit du mal d'amour

qui pleure et chante sans peine !

 

Et aux jardins secrets,

aux paradis rêvés,

et aux songes peuplés

de sages intentions !

 

Malheur au galant sans fortune

qui tourne, tourne au clair de lune ;

à ceux qui tombent de la lune,

à ceux qui s'envolent vers elle !

 

Malheur à qui n'a pas atteint

le fruit à la branche pendu ;

à qui dans le fruit a mordu

et savouré son amertume !

 

Et à notre premier amour,

à sa loyauté maltraitée,

et malheur aussi à l'amant

véritable de notre aimée !

Antonio Macahdo / Solitudes, Galeries et autres poèmes / Chansons
Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé
Illustration : Portrait d'Antonio Machado (1875 - 1939) par Joaquín Sorolla Bastida (1863 - 1923)